Hier soir, après avoir assisté pour mon boulot à un "débat d'idées" à la Tour Montparnasse sur la privation des libertés publiques, en présence d'un préfet, d'un journaliste, d'un humoriste et d'un anthropologue des religions, j'avais les neurones en ébullition. De retour à la maison, je comptais bien m'affaler dans le canapé pour un plateau télé salutaire et facile, genre McDo. En zappant, je tombe sur "Top Chef", l'émission-phare de M6 qui oppose des professionnels de la cuisine dans un combat de sens et de sensations fortes, façon reality show. Je sourcille et formule mes premiers a priori. Comment peut-on médiatiser un exercice aussi périlleux que celui de la grande cuisine sans tomber dans la caricature et le grotesque ?
Et puis là, au bout d'une vingtaine de minutes, la surprise : je me suis laissé prendre malgré moi au jeu des candidats, des seconds de restaurants étoilés, voire de jeunes chefs déjà confirmés, qui s'affrontent comme des étudiants farouches à un concours de grande école. C'est la demi-finale. La musique aidant, le suspense fonctionne : la crainte d'un plat raté, d'une cuillère de trop, d'un ingrédient oublié, d'un verdict cinglant. La mise en scène est certes réglée au millimètre pour instrumentaliser les émotions mais elle ne dévalorise pas les participants. Au contraire, comme dans une brigade de grand restaurant où la tension du "coup de feu" électrise les relations et interdit les frustrations, ils sont les acteurs d'une leçon d'humilité et de générosité qui touche le spectateur au cœur, qu'il soit lui-même un virtuose des casseroles ou simplement un amateur de bonne chère. Car, à l'opposé du lâche qui vote, anonyme derrière son SMS surtaxé, pour ou contre les gamineries d'un apprenti-chanteur ou d'une starlette de pacotille dans des émissions de télé-réalité débiles et vulgaires (la liste est longue !), il est renvoyé à ses propres capacités. Que celui qui n'a jamais fait tourner une mayonnaise leur jette la première cuillère en bois ! D'ailleurs, les chefs étoilés qui composent le jury ne s'y trompent pas. Leur jugement est parfois douloureux, voire ingrat, mais jamais injuste. La caméra permet souvent de capter l'admiration derrière leur façade de "mouton noir". Car la cuisine n'est pas un métier facile. Pour avoir côtoyé les coulisses de restaurants à Lyon, j'en suis un témoin privilégié. C'est avant tout une histoire d'amour. Dans un entretien accordé au JDD, Pierre Gagnaire échange avec Umberto Eco son point de vue sur la gastronomie. Il témoigne de son cheminement : "Longtemps, je n'ai pas aimé ce métier de cuisinier. Je suis né dans un milieu de restaurateurs traditionnels : j'étais entouré de bruit, de brutalité, d'une nourriture très moyenne. (...) Depuis, j'ai essayé d'y mettre mon cœur et mon âme. J'ai finalement compris que la nourriture était un moyen d'émouvoir les gens, de les aimer, de leur dire aimez-moi !". Une autre façon de parodier Molière : il faut aimer pour cuisiner et non pas cuisiner pour aimer. Ce que Top Chef arrive, selon moi, à révéler, c'est ce don et ce besoin d'amour des jeunes cuisiniers à l'égard de son public, des gourmands que nous sommes, même si la dramaturgie frise un peu le "voyeurisme culinaire" comme s'en indigne un journaliste de Marianne 2. Il est vrai que ma première impression était d'assister à une nouvelle forme de jeux du cirque (les couteaux de couleur comme des pouces levés ou baissés...). Et j'espère sincèrement que les candidats sortants sont confortés dans leur talent, hors champ des caméras, par les mêmes qui les ont sévèrement jugés, pour ne pas perdre le goût des fourneaux de la vraie vie. Hier soir, je ne sais pas si la société contemporaine était privée de libertés publiques mais, en tous cas, pas de papilles. La preuve que la télévision est aussi capable de moderniser ses divertissements tout en apportant un peu de réflexion. Les épreuves auxquelles les candidats ont été confrontés (reproduire le plat d'un grand chef, cuisiner de la street food dans une "baraque à frites" ou composer un plat de son imagination dans une ultime course contre la montre, entre autres) ont suscité un autre "débat d'idées" à la maison. Car voir l'imagination à l'œuvre, même prise dans les mailles du spectaculaire, ça donne des envies de recettes. Et le sens du respect, tout simplement. Pas vous ?
Et puis là, au bout d'une vingtaine de minutes, la surprise : je me suis laissé prendre malgré moi au jeu des candidats, des seconds de restaurants étoilés, voire de jeunes chefs déjà confirmés, qui s'affrontent comme des étudiants farouches à un concours de grande école. C'est la demi-finale. La musique aidant, le suspense fonctionne : la crainte d'un plat raté, d'une cuillère de trop, d'un ingrédient oublié, d'un verdict cinglant. La mise en scène est certes réglée au millimètre pour instrumentaliser les émotions mais elle ne dévalorise pas les participants. Au contraire, comme dans une brigade de grand restaurant où la tension du "coup de feu" électrise les relations et interdit les frustrations, ils sont les acteurs d'une leçon d'humilité et de générosité qui touche le spectateur au cœur, qu'il soit lui-même un virtuose des casseroles ou simplement un amateur de bonne chère. Car, à l'opposé du lâche qui vote, anonyme derrière son SMS surtaxé, pour ou contre les gamineries d'un apprenti-chanteur ou d'une starlette de pacotille dans des émissions de télé-réalité débiles et vulgaires (la liste est longue !), il est renvoyé à ses propres capacités. Que celui qui n'a jamais fait tourner une mayonnaise leur jette la première cuillère en bois ! D'ailleurs, les chefs étoilés qui composent le jury ne s'y trompent pas. Leur jugement est parfois douloureux, voire ingrat, mais jamais injuste. La caméra permet souvent de capter l'admiration derrière leur façade de "mouton noir". Car la cuisine n'est pas un métier facile. Pour avoir côtoyé les coulisses de restaurants à Lyon, j'en suis un témoin privilégié. C'est avant tout une histoire d'amour. Dans un entretien accordé au JDD, Pierre Gagnaire échange avec Umberto Eco son point de vue sur la gastronomie. Il témoigne de son cheminement : "Longtemps, je n'ai pas aimé ce métier de cuisinier. Je suis né dans un milieu de restaurateurs traditionnels : j'étais entouré de bruit, de brutalité, d'une nourriture très moyenne. (...) Depuis, j'ai essayé d'y mettre mon cœur et mon âme. J'ai finalement compris que la nourriture était un moyen d'émouvoir les gens, de les aimer, de leur dire aimez-moi !". Une autre façon de parodier Molière : il faut aimer pour cuisiner et non pas cuisiner pour aimer. Ce que Top Chef arrive, selon moi, à révéler, c'est ce don et ce besoin d'amour des jeunes cuisiniers à l'égard de son public, des gourmands que nous sommes, même si la dramaturgie frise un peu le "voyeurisme culinaire" comme s'en indigne un journaliste de Marianne 2. Il est vrai que ma première impression était d'assister à une nouvelle forme de jeux du cirque (les couteaux de couleur comme des pouces levés ou baissés...). Et j'espère sincèrement que les candidats sortants sont confortés dans leur talent, hors champ des caméras, par les mêmes qui les ont sévèrement jugés, pour ne pas perdre le goût des fourneaux de la vraie vie. Hier soir, je ne sais pas si la société contemporaine était privée de libertés publiques mais, en tous cas, pas de papilles. La preuve que la télévision est aussi capable de moderniser ses divertissements tout en apportant un peu de réflexion. Les épreuves auxquelles les candidats ont été confrontés (reproduire le plat d'un grand chef, cuisiner de la street food dans une "baraque à frites" ou composer un plat de son imagination dans une ultime course contre la montre, entre autres) ont suscité un autre "débat d'idées" à la maison. Car voir l'imagination à l'œuvre, même prise dans les mailles du spectaculaire, ça donne des envies de recettes. Et le sens du respect, tout simplement. Pas vous ?