Mercredi, c'est dans une belle cacophonie que le nouveau "ministre" des PME*, Frédéric Lefèbvre, chahuté à l'Assemblée Nationale, a salué l'inscription du repas gastronomique français au patrimoine immatériel de l'Unesco. Une bonne nouvelle pour les 92% de Français qui estiment que "manger est un plaisir", selon un sondage Harris Interactive pour la Fondation Nestlé France. Synonyme de bon moment passé en famille ou entre amis, fruit d'un savoir-faire culinaire, le repas reste sacré, malgré les dérives des déjeuners pris sur le pouce et qui vous restent sur l'estomac. D'après une étude, le plat préféré de nos compatriotes est le poulet rôti. Rien que de l'écrire, je sens son parfum me chatouiller les narines. Le découper dans les règles de l'art est une autre histoire. Nos chefs sont devenus de vraies stars dans le monde. La télévision multiplie les émissions de concours de cuisine. La littérature abonde. Chacun y va de sa recette, de son tour de main, de ses petits trucs. Au bout du compte : des rires, des larmes. Des réussites, couvertes de lauriers. Mais aussi des "fours" : le plat raté, le temps perdu. La cuisine, temple nostalgique des arômes où les poêlées frémissent, serait-elle la pièce la plus conviviale de nos habitations ? Pour saluer cette distinction internationale, voici un billet de gourmand, entre souvenirs et bons plans.
Tombé dans la marmite
On ne naît pas fine bouche, on le devient. Forcément, enfant, on n'aime ni la soupe, ni les légumes. Mais les frites et les pâtes. Ma mère a toujours été bonne cuisinière, capable de passer l'après-midi aux fourneaux pour préparer son plat du soir, pour nous ou ses invités. Et je traînais toujours à ses pieds, pendu au tablier. Une cuisine goûtue, à base de beurre et de crème. Au diable le cholestérol ! Et puis une table toujours bien décorée. Forcément, ça marque. J'arrête ici la séquence freudienne pour faire un bon en avant de dix ans. Etudiant à Lyon, je rejoins l'équipe d'un guide gratuit, distribué une fois par an aux gones : le Petit Paumé. La place rêvée pour tout amateur de bonne chère. Pendant plusieurs mois, je mange midi et soir au restaurant, au cœur de la capitale gastronomique, berceau des bouchons et des tonitruantes mères lyonnaises. Me voici dans la peau de Jean-Luc Petitrenaud, à renifler les marmites, trinquer, taper un brin de causette avec les chefs d'orchestre de nos papilles. Plus au nord, dans une maison du Morvan, mon père m'ouvre sa cave. Des crus de Bourgogne dont les noms font damner les saints. Normal pour un vignoble qui a longtemps appartenu à des moines ! Au campus, je refuse de céder à la facilité des raviolis froids, mangés à même la boite de conserve (authentique !), mais cultive l'envie de mijoter de bons petits plats, pour moi mais surtout pour les autres. Par contre, je déteste suivre une recette, un œil sur la casserole, l'autre dans un bouquin maculé de traces de gras. Je prends les grandes lignes et j'accommode. De ces années Petit Paumé, je garde surtout un profond respect pour les professionnels de la table (un métier généreux mais exigeant) et la faculté de décrypter la carte, en un coup d'œil, pour y repérer la perle rare, le plat original qu'il ne faut surtout pas manquer. Au restaurant, je n'hésite jamais. J'ose. Je me laisse séduire. C'est toujours l'histoire d'une rencontre.
Le Grand Restaurant
Au cinéma, deux films me donnent l'eau à la bouche : L'aile ou la cuisse et Le Grand Restaurant. Deux comédies franchouillardes avec Louis de Funès en critique gastronomique ou en directeur de restaurant. Les répliques sont même devenues cultes en famille. Deux scènes mythiques, où De Funès cultive l'art du déguisement, restent la promesse d'une franche rigolade : le déjeuner de Charles Duchemin, grimé en texan, dans un boui-boui de province ; la visite-mystère de Monsieur Septime, tout en manières, pour tester ses employés pendant son absence. En outre, ce sont justement les grandes tables qui sont honorées par l'Unesco, celles qui tremblent à chaque sortie de guide, tellement les réputations se font ou se défont par les étoiles ou les macarons. Représentant de tous les gastronomes, le critique qui juge un restaurant mesure-t-il toute l'ampleur de sa responsabilité ? J'ai rencontré une fois un inspecteur du Michelin. Un britannique qui travaillait en loup solitaire. Un métier peu convivial, subjectif. Au Petit Paumé, nous avons éprouvé les mêmes cas de conscience : coup de cœur ou coup de griffe ? Remercier ou fustiger ? Et sur quels critères ? Suis-je représentatif de mes contemporains ? Tout jugement est une question de goût. Et de bon sens. Et puis, le jour où vous poussez la porte d'un étoilé, comme Georges Blanc, à Vonnas, pour un menu gastronomique Terre & Mer, ou Chez Lasserre (merci Zident !), tout s'éclaire. Vous connaissiez le pire ? Vous connaissez maintenant le meilleur. Entre les deux, tout est désormais possible, relatif. Dans chaque restaurant, il faut s'adapter à la promesse. Ne pas exiger plus. Sinon, ne pas entrer.
Cantines
Nos bonnes adresses deviennent nos "cantines". Un qualificatif affectueux, second degré, pour marquer la référence, là où sont nos habitudes, nos amis. A Paris, il y a eu la Taverne Basque, rue du Cherche-midi, l'autre maison de Pierre et Evelyne, des cœurs gros comme ça. Amoureux du Sud-Ouest, ils sont partis là-bas. Pour souffler un peu après de longues années passées en salle ou en cuisine, dédiés au plaisir des habitués et des curieux. Leur livre d'or parle à leur place. De l'anonyme à la célébrité, chacun a trempé sa plume dans leurs spécialités basques. La tradition, c'était d'arriver en avance pour partager une coupe, au comptoir. Nous n'étions plus au restaurant. Mais chez eux, en famille. Nombreux sont ceux qui n'oublieront jamais leur facilité à nous accueillir, à nous régaler. Un restaurant comme ça, il n'y en a pas deux dans une vie de bon vivant. Sur leurs traces, d'autres portes à pousser, ancrées dans ma mémoire : la Ferme Saint-Simon, dans le 7ème arrondissement de Paris, pour des anniversaires raffinés ; le Jardin des Remparts, à Beaune, pendant nos tournées de caves (mythique tartare de bœuf aux huîtres Gillardeau !) ; la Table des Echevins, aujourd'hui disparue, restaurant médiéval d'Olivier S., premier coup de cœur lyonnais. Aujourd'hui, d'autres bonnes tables ont fait leur entrée dans la liste de mes "cantines". Faut-il les garder jalousement ?
Baby phone
Près de chez moi, un restaurant a changé plusieurs fois de propriétaire. Il faut dire que la rue Beaugrenelle, dans le 15ème arrondissement de Paris, n'est pas très passante. On n'y vient surtout par envie. Non par hasard. Chef propriétaire passé maître dans l'art du riz au lait (l'une de ses spécialités, incontournable !), Denis Dujour s'est installé il y a deux ans, au numéro 12. Sa carte, tracée à la craie, est toujours en mouvement, inspirée des produits de saison, au goût du jour en quelque sorte. D'où le nom de son enseigne, malin jeu de mots avec son patronyme, Au Goût Dujour. Régulièrement, pour les connaisseurs (s'inscrire à la mailing-list), il organise des dîners gastronomiques, dégustation de cinq plats, à 38 euros tout compris. Sa dernière création, pour donner une idée : velouté de châtaignes, pignon de pain et émulsion au lard ; lotte à la citronnelle et gingembre, courgettes et haricots verts ; carré d'agneau aux aromates, purée de topinambour aux tomates confites ; tome et huile d'herbe ; Dacquoise aux poires et vin rouge épicé. Tout un programme ! Allez-y de ma part. Vous dites que c'est le couple qui vient parfois, le soir, avec un baby phone. Car, par chance, le signal porte. Alors, on garde une oreille sur le sommeil des enfants, seuls à la maison. Je vous rassure : on garde aussi un œil sur l'immeuble. A deux pas de là, une autre adresse, excellent rapport qualité-prix pour un déjeuner d'affaires, en toute décontraction : le Blavet, rue de Lourmel. Une étape obligée si vous êtes dans le quartier, notamment pour admirer les belles moustaches du chef, façon Hercule Poirot.
(*) Pour faire court. Sa nomination exacte est Secrétaire d'Etat auprès de la Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, chargé du Commerce, de l'Artisanat, des PME, du Tourisme, des Professions libérales et de la Consommation. Cela vaut bien un bizutage, non ?