mardi 5 octobre 2010

Mystère et boule de gomme

Un livre, c'est une rencontre. Certaines sont provoquées, par la presse ou le bouche-à-oreille ; d'autres sont le fruit du hasard. Mais est-ce vraiment du hasard ? La semaine dernière, alors que j'arpente les allées d'une grande librairie des Champs-Elysées, je tombe sur un livre déclassé, jeté en évidence sur une pile qui n'était pas la sienne, dans un rayon qui n'était pas le sien. Sans doute abandonné par un lecteur circonspect ou tombé des bras chargés d'un boulimique de littérature. Et la vendeuse est incapable de retrouver la source. Peu importe. La couverture m'interpelle. Sur l'illustration, des silhouettes se détachent, comme sur un napperon en ombre chinoise. J'aperçois de petits personnages en costume victorien, une armure médiévale, des corbeaux, des arbres aux formes torturées, une grille en fer forgé, une calèche et surtout la façade d'un manoir. Le titre ? Tout un programme : La séance.
Serait-il question de spiritisme ? L'auteur, John Harwood, est australien. Il a étudié la philosophie à Cambridge. C'est son premier roman publié en France. La critique du Times, citée au dos, flatte ma curiosité : "Bienvenue dans les brumes victoriennes... Un livre à énigmes ensorcelant que vous lirez à coup sûr d'une seule traite". C'est étrange : moi qui suis fan de romans fantastiques et, plus particulièrement, d'histoires de fantômes, je n'avais jamais entendu parler de ce livre publié en mars 2010 aux éditions du Cherche Midi, dans la collection Néo. Et puis, la chance a mis ce livre sur ma route. Une bénédiction ! Jugez plutôt : Angleterre, fin de l'ère victorienne. La jeune Constance Langton apprend qu'elle est l'héritière d'un manoir de famille dans le Suffolk, Wraxford Hall. Mais l'avocat qui lui annonce la nouvelle lui déconseille d'y habiter. En effet, la sinistre demeure jouit d'une sombre réputation : plusieurs personnes y ont disparu dans d'étranges circonstances. La maison hantée aurait été le théâtre d'expériences surnaturelles. Il n'en faut pas plus pour me convaincre de passer en caisse.
Hier, dans le train qui me ramène de Caen, j'achève ma lecture. Avec délectation. Car, depuis le Mystère de la Maison Aranda, de Jeronimo Tristante, je n'avais pas lu de roman, entre murder mystery et ghost story, qui puise autant dans les univers imaginaires que j'affectionne tant. Car un roman, c'est aussi une madeleine de Proust. Celui-là rend hommage au Dracula de Bram Stoker (pour sa forme épistolaire et son sens de la  psychologie victorienne), au Château d'Otrante d'Horace Walpole (pour ses portes dérobées et ses passages secrets) ou au Tour d'écrou d'Henry James (pour le doute qu'il nous laisse sur la réalité des phénomènes paranormaux). Il emprunte aussi aux secrets du mesmérisme, une pseudo-science très en vogue à la fin du XIXème siècle selon laquelle il existe un fluide magnétique chez l'homme qui pourrait être manipulé pour guérir certaines maladies psychiques. En outre, l'atmosphère est toujours à la limite du macabre. Le romancier privilégie la légèreté à l'horreur, dans l'esprit du Club des Cinq et des Désastreuses aventures des Orphelins Baudelaire. La structure narrative est un emboitement de journaux intimes, à la manière de poupées russes, qui offre plusieurs points de vue à l'intrigue et laisse au lecteur le plaisir de faire les recoupements. Comme un détective. Jusqu'au rebondissement final aux allures de chasse aux revenants.
A la lecture de La séance, j'ai eu l'impression de revivre mes années murder parties, quand j'organisais des jeux d'enquête policière en grandeur nature, dans les salons d'époque d'un mystérieux château auvergnat ou pour des séminaires d'entreprise. Tomber sur ce livre fut donc pour moi comme trouver l'un des cailloux blancs du Petit Poucet. Mais où tout cela mène-t-il ?