jeudi 7 octobre 2010

Jean qui rit, Jean qui pleure

Triste loi de l'actualité ! Ce matin, dans la presse, éclipsée par les gros titres, une brève attire mon attention. Un "fait divers" (dénomination bien mal choisie, à vrai dire, pour une famille en deuil). Hier, mercredi, à Disneyland Paris, un employé d'une société sous-traitante de nettoyage est victime d'un accident du travail. Tombé dans l'eau sur l'attraction "It's a small world", il se retrouve coincé sous une barque. Héliporté en urgence à l'hôpital Georges Pompidou, le salarié n'a pas survécu. Malheureusement, des drames comme celui-là, il s'en produit chaque jour. Mais ce décès a quelque chose de plus tragique encore. Car il confronte deux mondes que tout oppose : la dure réalité du travail et les dorures du divertissement. Car, chez Mickey, l'envers du décor ne correspond pas toujours à l'image féérique du royaume enchanté de la Belle au Bois Dormant.
Tout est imaginé pour transporter les visiteurs, venus en famille ou entre amis, dans un autre univers, une parenthèse magique, loin des turpitudes de la vie quotidienne. Un rêve éveillé en quelque sorte. Et je suis le premier à m'en réjouir, pour avoir été un fidèle du parc et de ses nombreuses attractions. Sensations fortes, éclats de rire, joie des enfants constituent le tableau coloré de cette bulle émotionnelle. Des étoiles plein les yeux. Et tout le monde est content. Sauf le porte-monnaie.
Mais, ce matin, la fête a un goût amer. Quand on descend de son nuage, la logique économique et sociale reprend ses droits. Tous les jours, aux aurores, des employés passent les contrôles de sécurité, en marge de l'entrée des visiteurs, et rejoignent leur bâtiment. Les bureaux portent tous le nom d'un personnage de dessin animé. Youpi ! Ils viennent chercher leur costume ou allumer leur ordinateur. Puis, le bus conduit Donald et Dingo à l'entrée des artistes. Ont-ils le sourire sous leur masque ? En présence du public, c'est obligatoire. On apprend ça en formation. La crédibilité du personnage en dépend. Mais, pour eux, cela reste un job. Seulement voilà, une nuit, à 5h30, une fausse manœuvre relance un mécanisme et tue un homme de 50 ans. Cette dépêche ne prendra pas plus d'ampleur dans les journaux. Demain, on n'en parlera probablement plus. Le droit de s'amuser sèchera les larmes. Les touristes reprendront le chemin de l'attraction. Et, ironie du sort, les poupées du monde entier pourront chanter toutes en chœur, dans toutes les langues de la terre : "Au bout du Pôle Nord ou sur l'Equateur, il y a un Jean qui rit, il y a un Jean qui pleure. Du soleil de midi au soleil de minuit, on a tous la même vie". Vraiment ?