L’évènementiel, c’est presque du théâtre. Il faut des mois pour bien préparer, penser à tout, répéter. Et, le moment venu, rien n’empêche les aléas du direct. Tout peut arriver. La plupart du temps, dans le secret des coulisses, sans que le spectateur s’en aperçoive. Ces expériences m’ont valu quelques sueurs froides qui font la richesse de ce métier. Au-delà des opérations réussies, il en subsiste des anecdotes. Alors, avant que la mémoire ne flanche, partagez avec moi ce florilège de petits moments de solitude. Ceux où, en un quart de seconde, tout bascule. Où la conscience de l’échec vous saisit. Comparativement aux ténors de l’événementiel, pour qui le grain de sel grippe de plus grands rouages que les miens, ces témoignages vous paraîtront sans doute dérisoires. Mais, le propre du grain de sel est de s’infiltrer partout, quelle que soit l’ampleur du dispositif. Et d’apporter son lot d’émotions, à sa juste proportion.
Aux premiers pas d’une carrière, l’expérience est encore balbutiante. Mais rien n’est plus beau que de découvrir par soi-même les écueils à éviter, dès lors que la prestation vendue au client n’est pas en danger. Avec Minuit Moins Dix, agence conseil en création d’événements de team-building que j’ai contribué à développer pendant quatre années, je me souviens de rencontres étonnantes, de lieux insolites, de projets hors du commun, où des équipes ont été plongées dans la peau de détectives, d’espions ou d’archéologues. Créer des jeux d’aventure pour des séminaires a souvent relevé du défi. Le premier concept mis au point fut l’enquête policière, héritière de la "murder-party", un jeu de rôle d’origine associative. Constitués en équipes de détectives, des participants doivent résoudre une intrigue criminelle par l’étude d’indices matériels, de jeux de communication avec des comédiens et d’ateliers interactifs inspirés par les techniques de la police scientifique. Or, pour que la magie opère, il faut des lieux d’ambiance, dans l’esprit du "Cluedo" ou des romans d’Agatha Christie. Pas des locaux d’entreprises, modernes et inappropriés. C’est ainsi que nous avons joué nos animations dans des manoirs, des châteaux, des caves voûtées ou des hôtels particuliers. Certains privatisés à titre exceptionnel. Comme ce fut le cas pour le Clos Lupin, à Etretat, dans l’ancienne demeure de Maurice Leblanc. Une première pour ce musée dédié à l’écrivain et aux aventures de son héros, Arsène Lupin. Costumés en personnages de la littérature policière (j’étais en Rouletabille !), nous avons arpenté les couloirs et les allées fleuries de cette charmante maison cauchoise. On ne pouvait rêver plus beau décor.
A Eguilly, en Bourgogne, où notre agence a produit sa toute première animation policière en grandeur nature pour un leader de l’édition, les participants se sont tellement pris au jeu qu’ils ont poursuivi, un brin éméchés, l’un de nos comédiens, grimé en fantôme, dans les dédales du château, pour lui faire passer un interrogatoire musclé. Le pauvre Vincent s’est enfermé à double tour dans une salle du donjon en espérant que la porte ne cède pas avant le coup de sifflet final. Un fantôme terrorisé par les occupants de son château : c’est le monde à l’envers !
Souvent, pris dans l’action, les joueurs s’enflamment. Au terme d’un jeu d’énigmes très prenant à la recherche d’un œuf de dinosaure, je vois encore un dirigeant de la société que nous avions pour client se lancer avec son équipe dans une course effrénée à travers la pelouse de l’hôtel, persuadé d’avoir déchiffré le dernier casse-tête qui mène au trésor. Un œuf de dinosaure, je le rappelle. Fatalement, il glisse et s’étale dans l’herbe. Il se relève, ignorant l’état de son beau costume tout neuf, et finit son sprint, en petites foulées. Il avait oublié pour un temps que les dinosaures ont disparu il y a 65 millions d’années. Une récompense pour nous !
La liste du patrimoine où nous avons accompagné des dizaines d’entreprises dans des opérations de team-building s’est allongée par la suite, développant notre capacité à faire ouvrir les endroits les plus mystérieux pour les scénarios les plus machiavéliques.
Le site le plus étonnant où il m’a été donné de travailler, c’est le métro parisien, sous le coup du plan Vigipirate. Nous avons été missionnés par des experts informatiques de la RATP pour imaginer un jeu de piste dans les coulisses du réseau métro et RER, à la découverte des technologies de la mobilité. Imaginez notre boulot : concevoir un scénario d’espionnage, au cœur d’un lieu public ultra fréquenté, en pleine hantise terroriste. Nous redoutions toutes les contraintes possibles de la part des agents de sécurité. Bien au contraire ! On nous a confié les clefs des portes de service de la gare RER Châtelet-les-Halles ! C’est vous dire le climat de confiance que nous avions instauré avec nos interlocuteurs. Alors, forcément, les anecdotes se multiplient.
Au moment de l’installation du matériel de jeu, l’un de nos comédiens met en place un boitier électronique factice, équipé d’une antenne télescopique et de diodes lumineuses, dans un comptoir d’accueil, sans étonner le moins du monde le guichetier qui prend son service. Un autre est glissé derrière la vitre d’un panneau d’information à la gare routière de La Défense, devant des dizaines d’usagers médusés qui attendent leur bus. Pourtant, pas le moindre coup de téléphone de la Préfecture de police. Quant à moi, je descends dans les entrailles du système de ventilation pour jouer un informateur. Alors que j’attends une équipe, une brise légère se mue en tornade, faisant voltiger les pans de mon imperméable. Rapidement, j’en conclus que les pales d’un ventilateur se sont mises à tourner, à quelques mètres au-dessus de moi, condamnant d’office les portes de sortie. Pourtant prévenus de notre présence ce jour-là, les services techniques avaient omis de neutraliser cette partie du système. Par un heureux hasard, je parviens à contacter, avec mon téléphone portable, mon responsable logistique, pompier de métier, qui fait couper le courant, séance tenante. Quand je pense que mon destin ne s’est joué qu’à quelques bâtons de couverture réseau. Pas de danger mais une petite frayeur. Pendant ce temps, dans un PC de secours désaffecté, à quelques mètres de là, l’animateur d’un autre atelier, pourtant assuré d’une tranquillité pour faire passer son épreuve, voit débarquer des agents de la RATP. Le PC central étant exceptionnellement tombé en panne, toute la signalisation des trains en entrée et sortie de gare Château-les-Halles s’est faite depuis ce poste, sans inquiéter le bon déroulement de notre jeu. Les participants ont ainsi profité d’un spectacle inattendu. C’est le propre de faire de la fiction dans un décor réel.
Parfois, ça dépasse notre imagination. Lors d’une soirée pour une marque de soins dermatologiques, nous avons reconstitué un hall d’aéroport dans un lieu de réception, derrière le Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Intrigués par notre campagne de teasing, des médecins, réunis en colloque au Palais des Congrès, affluent par autocars (que j’ai toutes les peines du monde à faire manœuvrer dans des rues étroites). Les participants se prêtent au jeu de l’embarquement fictif. Ils confient leur manteau, passent les portiques de sécurité, récupèrent leur carte d’embarquement auprès d’hôtesses de l’air et gagnent le grand hall pour une coupe de champagne au bar. Des images tournées à Orly sont projetées sur un écran géant et une voix suave diffuse les annonces pour les prochains départs. En périphérie de cette grande salle, les invités peuvent déambuler dans des pièces annexes thématisées selon les destinations (Norvège, Mexique, Etats-Unis). Au beau milieu de cette phase d’accueil, une petite dame au physique de Miss Marple pointe le bout de son nez, à la porte principale, un sac en plastique à la main. Les vigiles sont perplexes. Mark, notre comédien en chef, la reçoit : « C’est à quel sujet ? ». Elle : « Je viens pour le papier toilettes. Il parait qu’il n’y en a pas assez… J’ai amené quelques rouleaux supplémentaires ». Nous en rions encore.
Et parfois, on frôle l’incident. Fox Pathé Europa, éditeur de DVD, nous confie l’organisation d’une soirée de lancement des films "Daredevil" et "X-Men 2" pour des journalistes. Une des cibles les plus délicates tellement ils sont sollicités. Tout un concept et un décor inspirés de l’univers Marvel sont imaginés dans un lieu underground, près du Stade de France. L’enjeu est énorme : le même soir, Canal + fait une soirée pour la sortie de la série "H" en DVD, avec Jamel Debbouze. Comme à notre habitude, l’histoire que nous mettons en place fait l’objet d’un teasing très attractif : de fausses coupures de presse sont envoyés aux journalistes, puis un badge d’accès et une puce électronique dans un tube en plastique. On leur annonce une grave crise au sein des super héros. Ils doivent absolument couvrir le scoop. Le buzz fait son effet. L’événement compte près de 400 participants dont 190 journalistes tous médias confondus. A leur arrivée, une file de bikers fait vrombir d’énormes motos. Le spectacle est saisissant. Mais je n’ai pas beaucoup l’occasion d’en profiter. En coulisses, nous veillons à la bonne marche de la soirée, nos yeux rivés sur ceux du client. Soudain, un énorme bruit de moteur puis une épaisse fumée envahit le rez-de-chaussée. Une fumée âpre qui prend à la gorge et nous oblige à ouvrir portes et fenêtres. Incommodés, les invités sortent pour prendre l’air. Affolé, le client me tombe dessus : « Que se passe-t-il ? ». Je mène l’enquête. Autorisé par le directeur artistique qui les avait sollicités, l’un des bikers est entré avec sa moto pour un burn-out improvisé, du plus bel effet. Enfin, le croyait-il ! Pétrifié à l’idée que l’événement va tourner court, comme un soufflé qui retombe, nous demandons aux comédiens de jouer leur rôle pour rassurer les participants en scénarisant l’incident. Un des journalistes, une forte personnalité, s’exclame : « Incroyable ! On n’avait jamais vu ça ! C’est énorme ! ». La rumeur de l’inédit se propage. On passe l’éponge. Le client se détend. Mais je ronge mon frein, si j’ose dire, car cette initiative malheureuse a failli nous coûter cher.
Certains loupés, sur scène ou en coulisses, frisent souvent le gag. On cherche la caméra cachée tellement la situation est coquasse. A quelques heures du lancement d’un jeu d’enquête, pendant une soirée de gala dans un manoir aux portes de Paris, tous les comédiens, tirés à quatre épingles dans leurs costumes d’époque immaculés, s’installent à leur table pour le repas technique. Un serveur leur apporte le dîner dans une grande marmite. Il ôte le couvercle d’un geste magistral. Le visage déconfit des comédiens me reste encore en mémoire. Des spaghettis à la sauce bolognaise ! Ça ne s’invente pas [photo d'illustration].
Autre événement, même concept d’animation. Dans le rôle d’un médium, Joël interprète un vieux lord aux allures de vampire, passionné d’ésotérisme et de tables tournantes. A tour de rôle, il accueille les équipes à son guéridon et se lance dans une fausse séance de spiritisme dont le but est de fournir des indices selon la pertinence des questions posées par les joueurs. Sous le guéridon, un tapis cache un mécanisme relié à une poire. Lorsque le comédien appuie sur la poire avec son pied, il fait bouger la table, sans les mains. L’effet de surprise est garanti. Sauf que la poire s’est détachée en pleine séance. La table ne répond plus. L’animateur s’inquiète et les joueurs flairent l’incident. Avec humour, notre lord anglais décide de donner des coups de genou bien visibles dans le guéridon, singeant les charlatans du 19e siècle qui faisaient croire à de prétendus phénomènes paranormaux. Le trucage caché devenant volontairement visible, la dimension caricaturale plaît aux joueurs dont il gagne la sympathie. Le tour est joué. Bien sûr, il rebranchera la poire entre deux séances. Il ne faut pas abuser des rattrapages.
Et puis, il y a la malédiction. Un séminaire pour un client fidèle se tient en tout début d’année. La neige tombe en abondance. Le verglas complique nos déplacements. La veille de l’opération, une journée de team-building dans l’univers des sciences de l’imaginaire, nous préparons notre équipement avant de vivre les heures les plus décourageantes de notre métier. Outre la fatigue et le stress, la démotivation nous gagne quand, au lendemain d’une nuit agitée dans la chambre pourrie d’un hôtel de bord d’autoroute (au diable les économies sur les frais de régie !), mes collaborateurs constatent la disparition de leur voiture, une Twingo rose, chère à notre cœur tant elle a supporté des kilomètres et des kilos de matériel. Pendant que nous lançons le jeu, Anne déclare le vol au commissariat. La police retrouvera le véhicule quelques jours plus tard, dans un terrain vague, sur le flanc, le réservoir d’essence éventré. Frédéric achète un Kangoo. De couleur blanche. La fin d’une époque.
Enfin, malgré toutes les précautions prises pour assurer la sécurité d’un événement qui accueille une personnalité du monde politique, j’ai connu le scénario incongru qui aurait pu changer le destin de la France. Je venais de prendre une mission dans une nouvelle agence de communication. On me demande d’assurer la supervision d’un dîner de gala pour un groupe de presse britannique, au restaurant Maison Blanche, la célèbre maison des Frères Pourcel, avenue Montaigne, au dessus du Théâtre des Champs-Elysées. Clou de la soirée : la participation de Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, de l’Economie, des Finances et de l’Industrie du troisième gouvernement Raffarin. A son arrivée, les invités sont déjà à table. Il doit intervenir en français, un doublage étant assuré par oreillette. Alors que le futur président de la République témoigne sur sa passion des Etats-Unis, son responsable de la sécurité me demande de veiller à ce que l’ascenseur qui mène au restaurant soit disponible au moment du départ de son patron. Pas de temps mort. C’est alors qu’un couple sort de la cabine et me demande une table pour deux. Ne cachant pas mon étonnement, je leur explique : « Désolé mais c’est une soirée privée. Comment êtes-vous montés ? ». « Par l’ascenseur, il n’y a personne en bas ». Je les raccompagne poliment au rez-de-chaussée avant de retrouver les policiers d’escorte à leur voiture, dans la rue. Aucune disposition de surveillance à l’égard du ministre n’avait été prise. Je leur raconte l’arrivée inopinée des clients. Ils prennent acte. Je remonte et tombe nez-à-nez avec le chef de la sécurité qui me félicite pour mon sens de la synchronisation. Nicolas Sarkozy me serre la main, me remercie et s’engouffre à ma suite dans l’ascenseur. Toute la nuit, j’ai rêvé d’attentat, de tueurs, de complot. Je me voyais dans un film de Quentin Tarantino où il faut attendre que la fumée des pistolets se dissipe avant de compter les cadavres. Si ce couple avait été animé d’intentions belliqueuses, je serais probablement en train d’écrire ce billet entre les murs d’une cellule capitonnée.
Finalement, dans l’événementiel, les choses ne sont jamais si graves, tant elles sont anticipées. Vous perdez votre sang-froid. Au pire, la face. L’important n’est pas de chuter mais de savoir se relever. Trouver la solution, le compromis ou, mieux, le miracle. Avant l’état de grâce. Car, globalement, les événements sont comme les contes de fées. A la fin, c’est le gentil qui gagne.
Aux premiers pas d’une carrière, l’expérience est encore balbutiante. Mais rien n’est plus beau que de découvrir par soi-même les écueils à éviter, dès lors que la prestation vendue au client n’est pas en danger. Avec Minuit Moins Dix, agence conseil en création d’événements de team-building que j’ai contribué à développer pendant quatre années, je me souviens de rencontres étonnantes, de lieux insolites, de projets hors du commun, où des équipes ont été plongées dans la peau de détectives, d’espions ou d’archéologues. Créer des jeux d’aventure pour des séminaires a souvent relevé du défi. Le premier concept mis au point fut l’enquête policière, héritière de la "murder-party", un jeu de rôle d’origine associative. Constitués en équipes de détectives, des participants doivent résoudre une intrigue criminelle par l’étude d’indices matériels, de jeux de communication avec des comédiens et d’ateliers interactifs inspirés par les techniques de la police scientifique. Or, pour que la magie opère, il faut des lieux d’ambiance, dans l’esprit du "Cluedo" ou des romans d’Agatha Christie. Pas des locaux d’entreprises, modernes et inappropriés. C’est ainsi que nous avons joué nos animations dans des manoirs, des châteaux, des caves voûtées ou des hôtels particuliers. Certains privatisés à titre exceptionnel. Comme ce fut le cas pour le Clos Lupin, à Etretat, dans l’ancienne demeure de Maurice Leblanc. Une première pour ce musée dédié à l’écrivain et aux aventures de son héros, Arsène Lupin. Costumés en personnages de la littérature policière (j’étais en Rouletabille !), nous avons arpenté les couloirs et les allées fleuries de cette charmante maison cauchoise. On ne pouvait rêver plus beau décor.
A Eguilly, en Bourgogne, où notre agence a produit sa toute première animation policière en grandeur nature pour un leader de l’édition, les participants se sont tellement pris au jeu qu’ils ont poursuivi, un brin éméchés, l’un de nos comédiens, grimé en fantôme, dans les dédales du château, pour lui faire passer un interrogatoire musclé. Le pauvre Vincent s’est enfermé à double tour dans une salle du donjon en espérant que la porte ne cède pas avant le coup de sifflet final. Un fantôme terrorisé par les occupants de son château : c’est le monde à l’envers !
Souvent, pris dans l’action, les joueurs s’enflamment. Au terme d’un jeu d’énigmes très prenant à la recherche d’un œuf de dinosaure, je vois encore un dirigeant de la société que nous avions pour client se lancer avec son équipe dans une course effrénée à travers la pelouse de l’hôtel, persuadé d’avoir déchiffré le dernier casse-tête qui mène au trésor. Un œuf de dinosaure, je le rappelle. Fatalement, il glisse et s’étale dans l’herbe. Il se relève, ignorant l’état de son beau costume tout neuf, et finit son sprint, en petites foulées. Il avait oublié pour un temps que les dinosaures ont disparu il y a 65 millions d’années. Une récompense pour nous !
La liste du patrimoine où nous avons accompagné des dizaines d’entreprises dans des opérations de team-building s’est allongée par la suite, développant notre capacité à faire ouvrir les endroits les plus mystérieux pour les scénarios les plus machiavéliques.
Le site le plus étonnant où il m’a été donné de travailler, c’est le métro parisien, sous le coup du plan Vigipirate. Nous avons été missionnés par des experts informatiques de la RATP pour imaginer un jeu de piste dans les coulisses du réseau métro et RER, à la découverte des technologies de la mobilité. Imaginez notre boulot : concevoir un scénario d’espionnage, au cœur d’un lieu public ultra fréquenté, en pleine hantise terroriste. Nous redoutions toutes les contraintes possibles de la part des agents de sécurité. Bien au contraire ! On nous a confié les clefs des portes de service de la gare RER Châtelet-les-Halles ! C’est vous dire le climat de confiance que nous avions instauré avec nos interlocuteurs. Alors, forcément, les anecdotes se multiplient.
Au moment de l’installation du matériel de jeu, l’un de nos comédiens met en place un boitier électronique factice, équipé d’une antenne télescopique et de diodes lumineuses, dans un comptoir d’accueil, sans étonner le moins du monde le guichetier qui prend son service. Un autre est glissé derrière la vitre d’un panneau d’information à la gare routière de La Défense, devant des dizaines d’usagers médusés qui attendent leur bus. Pourtant, pas le moindre coup de téléphone de la Préfecture de police. Quant à moi, je descends dans les entrailles du système de ventilation pour jouer un informateur. Alors que j’attends une équipe, une brise légère se mue en tornade, faisant voltiger les pans de mon imperméable. Rapidement, j’en conclus que les pales d’un ventilateur se sont mises à tourner, à quelques mètres au-dessus de moi, condamnant d’office les portes de sortie. Pourtant prévenus de notre présence ce jour-là, les services techniques avaient omis de neutraliser cette partie du système. Par un heureux hasard, je parviens à contacter, avec mon téléphone portable, mon responsable logistique, pompier de métier, qui fait couper le courant, séance tenante. Quand je pense que mon destin ne s’est joué qu’à quelques bâtons de couverture réseau. Pas de danger mais une petite frayeur. Pendant ce temps, dans un PC de secours désaffecté, à quelques mètres de là, l’animateur d’un autre atelier, pourtant assuré d’une tranquillité pour faire passer son épreuve, voit débarquer des agents de la RATP. Le PC central étant exceptionnellement tombé en panne, toute la signalisation des trains en entrée et sortie de gare Château-les-Halles s’est faite depuis ce poste, sans inquiéter le bon déroulement de notre jeu. Les participants ont ainsi profité d’un spectacle inattendu. C’est le propre de faire de la fiction dans un décor réel.
Parfois, ça dépasse notre imagination. Lors d’une soirée pour une marque de soins dermatologiques, nous avons reconstitué un hall d’aéroport dans un lieu de réception, derrière le Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Intrigués par notre campagne de teasing, des médecins, réunis en colloque au Palais des Congrès, affluent par autocars (que j’ai toutes les peines du monde à faire manœuvrer dans des rues étroites). Les participants se prêtent au jeu de l’embarquement fictif. Ils confient leur manteau, passent les portiques de sécurité, récupèrent leur carte d’embarquement auprès d’hôtesses de l’air et gagnent le grand hall pour une coupe de champagne au bar. Des images tournées à Orly sont projetées sur un écran géant et une voix suave diffuse les annonces pour les prochains départs. En périphérie de cette grande salle, les invités peuvent déambuler dans des pièces annexes thématisées selon les destinations (Norvège, Mexique, Etats-Unis). Au beau milieu de cette phase d’accueil, une petite dame au physique de Miss Marple pointe le bout de son nez, à la porte principale, un sac en plastique à la main. Les vigiles sont perplexes. Mark, notre comédien en chef, la reçoit : « C’est à quel sujet ? ». Elle : « Je viens pour le papier toilettes. Il parait qu’il n’y en a pas assez… J’ai amené quelques rouleaux supplémentaires ». Nous en rions encore.
Et parfois, on frôle l’incident. Fox Pathé Europa, éditeur de DVD, nous confie l’organisation d’une soirée de lancement des films "Daredevil" et "X-Men 2" pour des journalistes. Une des cibles les plus délicates tellement ils sont sollicités. Tout un concept et un décor inspirés de l’univers Marvel sont imaginés dans un lieu underground, près du Stade de France. L’enjeu est énorme : le même soir, Canal + fait une soirée pour la sortie de la série "H" en DVD, avec Jamel Debbouze. Comme à notre habitude, l’histoire que nous mettons en place fait l’objet d’un teasing très attractif : de fausses coupures de presse sont envoyés aux journalistes, puis un badge d’accès et une puce électronique dans un tube en plastique. On leur annonce une grave crise au sein des super héros. Ils doivent absolument couvrir le scoop. Le buzz fait son effet. L’événement compte près de 400 participants dont 190 journalistes tous médias confondus. A leur arrivée, une file de bikers fait vrombir d’énormes motos. Le spectacle est saisissant. Mais je n’ai pas beaucoup l’occasion d’en profiter. En coulisses, nous veillons à la bonne marche de la soirée, nos yeux rivés sur ceux du client. Soudain, un énorme bruit de moteur puis une épaisse fumée envahit le rez-de-chaussée. Une fumée âpre qui prend à la gorge et nous oblige à ouvrir portes et fenêtres. Incommodés, les invités sortent pour prendre l’air. Affolé, le client me tombe dessus : « Que se passe-t-il ? ». Je mène l’enquête. Autorisé par le directeur artistique qui les avait sollicités, l’un des bikers est entré avec sa moto pour un burn-out improvisé, du plus bel effet. Enfin, le croyait-il ! Pétrifié à l’idée que l’événement va tourner court, comme un soufflé qui retombe, nous demandons aux comédiens de jouer leur rôle pour rassurer les participants en scénarisant l’incident. Un des journalistes, une forte personnalité, s’exclame : « Incroyable ! On n’avait jamais vu ça ! C’est énorme ! ». La rumeur de l’inédit se propage. On passe l’éponge. Le client se détend. Mais je ronge mon frein, si j’ose dire, car cette initiative malheureuse a failli nous coûter cher.
Certains loupés, sur scène ou en coulisses, frisent souvent le gag. On cherche la caméra cachée tellement la situation est coquasse. A quelques heures du lancement d’un jeu d’enquête, pendant une soirée de gala dans un manoir aux portes de Paris, tous les comédiens, tirés à quatre épingles dans leurs costumes d’époque immaculés, s’installent à leur table pour le repas technique. Un serveur leur apporte le dîner dans une grande marmite. Il ôte le couvercle d’un geste magistral. Le visage déconfit des comédiens me reste encore en mémoire. Des spaghettis à la sauce bolognaise ! Ça ne s’invente pas [photo d'illustration].
Autre événement, même concept d’animation. Dans le rôle d’un médium, Joël interprète un vieux lord aux allures de vampire, passionné d’ésotérisme et de tables tournantes. A tour de rôle, il accueille les équipes à son guéridon et se lance dans une fausse séance de spiritisme dont le but est de fournir des indices selon la pertinence des questions posées par les joueurs. Sous le guéridon, un tapis cache un mécanisme relié à une poire. Lorsque le comédien appuie sur la poire avec son pied, il fait bouger la table, sans les mains. L’effet de surprise est garanti. Sauf que la poire s’est détachée en pleine séance. La table ne répond plus. L’animateur s’inquiète et les joueurs flairent l’incident. Avec humour, notre lord anglais décide de donner des coups de genou bien visibles dans le guéridon, singeant les charlatans du 19e siècle qui faisaient croire à de prétendus phénomènes paranormaux. Le trucage caché devenant volontairement visible, la dimension caricaturale plaît aux joueurs dont il gagne la sympathie. Le tour est joué. Bien sûr, il rebranchera la poire entre deux séances. Il ne faut pas abuser des rattrapages.
Et puis, il y a la malédiction. Un séminaire pour un client fidèle se tient en tout début d’année. La neige tombe en abondance. Le verglas complique nos déplacements. La veille de l’opération, une journée de team-building dans l’univers des sciences de l’imaginaire, nous préparons notre équipement avant de vivre les heures les plus décourageantes de notre métier. Outre la fatigue et le stress, la démotivation nous gagne quand, au lendemain d’une nuit agitée dans la chambre pourrie d’un hôtel de bord d’autoroute (au diable les économies sur les frais de régie !), mes collaborateurs constatent la disparition de leur voiture, une Twingo rose, chère à notre cœur tant elle a supporté des kilomètres et des kilos de matériel. Pendant que nous lançons le jeu, Anne déclare le vol au commissariat. La police retrouvera le véhicule quelques jours plus tard, dans un terrain vague, sur le flanc, le réservoir d’essence éventré. Frédéric achète un Kangoo. De couleur blanche. La fin d’une époque.
Enfin, malgré toutes les précautions prises pour assurer la sécurité d’un événement qui accueille une personnalité du monde politique, j’ai connu le scénario incongru qui aurait pu changer le destin de la France. Je venais de prendre une mission dans une nouvelle agence de communication. On me demande d’assurer la supervision d’un dîner de gala pour un groupe de presse britannique, au restaurant Maison Blanche, la célèbre maison des Frères Pourcel, avenue Montaigne, au dessus du Théâtre des Champs-Elysées. Clou de la soirée : la participation de Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, de l’Economie, des Finances et de l’Industrie du troisième gouvernement Raffarin. A son arrivée, les invités sont déjà à table. Il doit intervenir en français, un doublage étant assuré par oreillette. Alors que le futur président de la République témoigne sur sa passion des Etats-Unis, son responsable de la sécurité me demande de veiller à ce que l’ascenseur qui mène au restaurant soit disponible au moment du départ de son patron. Pas de temps mort. C’est alors qu’un couple sort de la cabine et me demande une table pour deux. Ne cachant pas mon étonnement, je leur explique : « Désolé mais c’est une soirée privée. Comment êtes-vous montés ? ». « Par l’ascenseur, il n’y a personne en bas ». Je les raccompagne poliment au rez-de-chaussée avant de retrouver les policiers d’escorte à leur voiture, dans la rue. Aucune disposition de surveillance à l’égard du ministre n’avait été prise. Je leur raconte l’arrivée inopinée des clients. Ils prennent acte. Je remonte et tombe nez-à-nez avec le chef de la sécurité qui me félicite pour mon sens de la synchronisation. Nicolas Sarkozy me serre la main, me remercie et s’engouffre à ma suite dans l’ascenseur. Toute la nuit, j’ai rêvé d’attentat, de tueurs, de complot. Je me voyais dans un film de Quentin Tarantino où il faut attendre que la fumée des pistolets se dissipe avant de compter les cadavres. Si ce couple avait été animé d’intentions belliqueuses, je serais probablement en train d’écrire ce billet entre les murs d’une cellule capitonnée.
Finalement, dans l’événementiel, les choses ne sont jamais si graves, tant elles sont anticipées. Vous perdez votre sang-froid. Au pire, la face. L’important n’est pas de chuter mais de savoir se relever. Trouver la solution, le compromis ou, mieux, le miracle. Avant l’état de grâce. Car, globalement, les événements sont comme les contes de fées. A la fin, c’est le gentil qui gagne.
Crédit photo : Anne Chaponnay