mardi 9 février 2010

100 ans de science contre le crime


© Christophe Lepetit / Le Figaro Magazine

Savez-vous que la police scientifique est d’origine française ? Cette année, nous fêtons le centième anniversaire de la création, par le criminaliste Edmond Locard, du premier laboratoire de police scientifique, autrefois logé dans les combles du Palais de justice de Lyon. Aujourd’hui, les techniques de la police technique et scientifique suscitent un véritable engouement auprès du grand public. Littérature, cinéma, télévision, jeux ou expositions. La déferlante touche à tout, multipliant les produits dérivés. Pourquoi un tel succès ? Parce que, dans sa lutte contre le crime, la science dépoussière l’enquête policière traditionnelle en lui apportant, plus que des preuves infaillibles, une part de rêve et une esthétique résolument moderne. Les plus grands mystères de la criminalité trouvent leur dénouement dans le progrès technologique. Bien qu’impartiales, les expertises de la police scientifique ont engendré une nouvelle forme d’émotion dans les intrigues judiciaires. L’énigme a désormais sa solution, sans l’ombre d’un doute. Mais, avant de l’obtenir, le suspense est à son comble. La chimie, la médecine ou la physique accomplissent des prodiges. Petit tour d’horizon très personnel sur des tours de force, aux limites de la magie.

Apprenti sorcier

A.D.N. Derrière ces trois lettres, l’indice par excellence ! Mais surtout, une des plus grandes révélations scientifiques du siècle dernier ! Il est désormais possible de décoder l’homme comme individu unique grâce à son empreinte génétique : couleur des yeux, groupe sanguin,… Du même coup, "petit" problème éthique : le scientifique peut jouer aux apprenti-sorciers avec le génome humain. Perdre un cheveu, éternuer ou toucher une poignée de porte, c’est abandonner à son insu des milliers de cellules avec l’ADN qu’elles renferment. Mais il faut savoir que 99,9% des informations contenues dans l’ADN sont identiques pour tous. Seuls les 0,1% restants nous différencient les uns des autres ! Cette signature n’est pas une preuve infaillible mais elle fait la joie des laboratoires et a permis de confondre des assassins, même des années après les faits. Au Palais de la Découverte, à Paris, je me suis souviens avoir participé à un atelier pour extraire mon ADN. Il suffit de cracher dans une éprouvette, y ajouter 5 ml d’eau salée et une cuillère à café de liquide vaisselle. Agiter et laisser reposer quelques minutes. Pencher le tube et verser délicatement 30 ml d’alcool à 90° en veillant à ne pas mélanger les deux liquides. Laisser reposer. Une pelote blanche se forme et remonte à la surface. C’est ce qu’on appelle la méduse d’ADN. Une fois déroulé, le filament d’ADN mesure jusqu’à 2 m de long ! Extraire la pelote avec la pointe d’un couteau et la conserver dans un récipient étanche rempli d’alcool à 90°. Et vous voilà avec votre ADN, exposé comme un trophée sur la cheminée ! Cela parait simple et complètement inutile mais je suis toujours surpris de constater à quel point cela amuse énormément les participants de mes animations d’entreprise.

« M’sieur Clémenceau, vos flics sont maintenant dev’nus des cerveaux »

Quelques notes de musique suffisent à identifier l’une des plus célèbres séries télévisées françaises, du nom des brigades mobiles créées en 1907 par le ministre de l’intérieur de l’époque, George Clémenceau, surnommé "Le Tigre". Ces unités sont l’ancêtre de l’actuelle police judiciaire française. On retrouve cette filiation dans le logo actuel de la P.J. où la silhouette de Clémenceau se superpose à celle d’un tigre. Implantées dans les principales villes de province, ces brigades étaient chacune dirigées par un commissaire divisionnaire, avec quinze à vingt inspecteurs sous son commandement. Enquêtes, surveillances et filatures maintenaient ainsi une pression constante, 24h sur 24, contre le banditisme. Déjà, à l’époque de Sherlock Holmes, les hommes du Tigre bénéficiaient des dernières méthodes d’investigations scientifiques et de la modernisation du fichage des criminels, héritées des travaux d’Alphonse Bertillon, le père de l’anthropométrie judiciaire, un système d’identification basé sur les mensurations, les empreintes digitales et la photographie des criminels. On lui doit l’arrestation d’un dénommé Henri-Léon Scheffer, dit "Georges l’Artilleur", accusé du meurtre d’un domestique au domicile d’un dentiste parisien. Le 16 octobre 1902, la police retrouve un corps sans vie au milieu d’un appartement en désordre. Un cambriolage qui aurait mal tourné. Et pas de témoin, à l’exception de Snipp, le chien de la maison. Sur un morceau de verre brisé, on retrouve quatre empreintes digitales. En les comparant avec celles d’un repris de justice, arrêté quelques mois avant, et fiché grâce à la méthode Bertillon, le coupable est confondu. Cet exploit dactyloscopique marque le début de l’identité judiciaire et des méthodes de la police scientifique. Huit ans plus tard, c’est un autre criminaliste, Edmond Locard, qui crée le Laboratoire de Police Scientifique. Il applique aux énigmes policières les principes de recherches issues de la médecine légale : balistique, toxicologie, graphologie, empreintes digitales.

La parole est au cadavre

De nombreux témoignages s’accordent à dire que le plus dérangeant dans un homicide, c’est l’odeur. Or, à la télévision, notre sensibilité est ménagée. Des images "cosmétisées" nous aident à supporter le cadavre, l’autopsie. Parce qu’il n’y a pas d’odeur. Dans son livre La parole est au cadavre (éditions Demos), le lieutenant de police Perrine Rogiez-Thubert raconte comment elle est passée brusquement du mythe à la réalité : « Ma première mort suspecte. Nous ne sommes plus au cœur d’un roman policier, mais bien au 3, quai de l’Horloge, prêts à partir. Et là, c’est le drame : un endroit sordide, un corps putréfié, une odeur méphitique et des dizaines de policiers grouillant sur les lieux. L’atmosphère cosy d’Agatha Christie me manque. Je réalise un rêve et, pourtant, la configuration des lieux n’est pas idéale pour la prise de photographies dont je suis chargée. Une première escouade d’enquêteurs investit la scène de crime, mon petit tailleur blanc n’y résistera pas. Qu’à cela ne tienne, cette épreuve m’intronise enfin parmi les professionnels du crime. » Dès la découverte d’une mort suspecte, le médecin légiste est appelé sur la scène de crime pour constater les premiers signes : blessures, colorations, déformations, rigidité cadavérique. Tous les marquages physiques sont passés au crible pour déterminer la cause de la mort. Par des calculs de température, il remonte le temps pour évaluer l’heure de la mort, un élément précieux de l’enquête pour circonstancier le meurtre. Le corps est ensuite transporté à l’institut médico-légal, la morgue, pour être autopsié. Un double examen, externe et interne, du cadavre va tenter de "faire parler" le mort, pour guider l’enquêteur jusqu’au coupable. Car le premier témoin d’un crime reste la victime elle-même. Au fait, saviez-vous que l’être humain perdrait 21 grammes au moment de son dernier souffle ? Le poids de l’âme ?

La preuve qui fait mouche

Lorsque la mort remonte à plus d’une semaine, il devient impossible de la dater à partir des relevés traditionnels (température du corps, traces de lividités,…). Mais, un nouvel indice a fait son apparition : l’insecte. Ou plutôt les insectes ! Car, d’après le vétérinaire français Jean-Pierre Mégnin, il existe huit groupes, ou escouades, qui se succèdent sur le cadavre, chacun à une période donnée. A nouveau, en fonction de l’espèce et du cycle de développement de l’insecte (œuf, larve, pupe ou adulte), l’expert entomologiste va remonter le temps pour dater le moment du décès, en s’appuyant sur les temps de croissance et les relevés météo. En outre, en boulottant, l’insecte nécrophage peut aussi emmagasiner les cellules de la victime et des substances toxiques, permettant de révéler l’ADN de la victime et son empoisonnement éventuel. Tout cela n’est pas très appétissant mais terriblement efficace pour faire parler un cadavre, en stade avancé de putréfaction, et fournir de précieuses informations aux enquêteurs. La première arrestation rendue possible grâce aux insectes date du XIIIème siècle lorsqu’un assassin fut confondu en Chine par des mouches attirées sur sa faucille, l’arme du crime. L’entomologie est le violon d’Ingres de Gil Grissom, l’expert en chef de la série américaine C.S.I. (Les Experts). Dans l’épisode Jusqu’au dernier souffle, réalisé par Quentin Tarantino, il parvient à localiser l’endroit où son coéquipier, Nick Stokes, est enterré vivant et filmé en direct, grâce à une fourmi, d’une espèce particulière, qui passe sur l’objectif de la webcam.

Touche à tout

Empreintes digitales, marques de chaussure ou de pneu. Partout où le criminel passe, il laisse des traces. Sans le savoir et malgré de multiples précautions. Or, les techniciens de scène de crime, appelés "lapins blancs" du fait de leur tenue vestimentaire, vont s’employer à les révéler par des poudres, des produits chimiques, des éclairages spéciaux et des moulages. Une anecdote rapporte l’histoire d’un cambrioleur confondu par son empreinte sur un chocolat. Il l’avait saisi avant de le reposer pour un autre, sans doute plus à son goût. Chaque empreinte digitale est unique. Elle est composée de crêtes, de boucles et de tourbillons dont la position varie d’une personne à l’autre. Et il y a une chance sur 64 milliards pour que deux personnes aient les mêmes empreintes digitales. Par contre, il est possible de prendre les empreintes d’une personne pour les déposer sur une scène de crime et le faire accuser à tort. Trouver des empreintes ne veut donc pas dire trouver le coupable. Dans le cadre d’une comparaison entre deux empreintes, il faut au minimum 12 points de concordance, au niveau des motifs, pour les considérer comme identiques. Pour les autres traces, dites de passage, on procède à des moulages avec une pâte comparable à celle qu’utilisent les dentistes. Si l’empreinte de pied est profonde, cela suggère un stationnement prolongé. L’enquêteur cherche alors un mégot, un cheveu. Et il est inutile de marcher à l’envers pour tromper la police. Les talons s’enfoncent davantage dans le sol lorsque l’on marche normalement. Et ne faites pas comme cet incendiaire qui, en mars 2008, avait mis le feu à un local sportif près de Dijon après y avoir volé une valise à roulettes. Les enquêteurs ont suivi les sillons dans la neige jusqu’à son domicile. La stupidité des amateurs apporte souvent la preuve qui les trahit !

« Tout ce que nous ne voyons pas mais qui est immense »

Dans Le Mystère de la Chambre Jaune, de Gaston Leroux, Rouletabille part en expédition sous le lit de Mlle Stangerson à la recherche d’indices sur sa mystérieuse agression. Ce qui, nez au plancher, lui permet de découvrir un minuscule cheveu blond. Imaginez tout ce que l’individu peut perdre, souvent à son insu, dans un geste inconscient : cheveux, fibres, fragments de peau (contenant des cellules épithéliales avec notre ADN), goutte de sueur ou de sang,… Pour éviter toute pollution, les techniciens de scène de crime revêtent une combinaison étanche, de la tête aux pieds. En outre, des fibres légères flottent dans l’air et ne se déposent qu’après plusieurs jours. Passé ce délai, les enquêteurs examinent souvent une seconde fois la scène de crime avant d’y passer l’aspirateur. Une fois repérée, une trace microscopique est ramassée avec une pince ou une bande adhésive. Faites l’expérience, chez vous, avec une lampe torche, posée au ras du sol. En lumière dite rasante, de nombreux "signes de vie" apparaissent, comme par magie. Combien de temps vous faudra-t-il avant de mettre la main sur un cheveu ? C’est d’ailleurs une très bonne technique pour retrouver une lentille oculaire ! La bonne loupe de Sherlock Holmes a la vie dure. Mais les microscopes ont pris le relais. Qu’il soit optique ou électronique, il assiste l’expert dans sa plongée au cœur de l’infiniment petit. Parmi ces indices, il existe le plus subtil des mouchards : le pollen. Chaque grain est recouvert d’une enveloppe dont les motifs particuliers permettent leur identification précise. De plus, leur mode de dispersion est d’une utilité capitale. Les grains de pins, disséminés facilement par le vent, n’apportent pas de conclusion pertinente. Néanmoins, le pollen de marronnier, transporté par les insectes, ne parcourt que de courtes distances. Il ressert donc l’étau autour d’un suspect qui en porte sur lui. Enfin, le pollen s’infiltre partout. Il n’est donc pas rare d’en retrouver dans des endroits auxquels le suspect ne pense pas et qui l’incriminent, comme le filtre à air du moteur de sa voiture par exemple…

Sang d’encre

Dans une scène poignante du film Scènes de Crimes, de Frédéric Schoendoerffer (2000), avec André Dussollier et Charles Berling, des techniciens du labo, équipés d’un produit en pulvérisateur, font apparaître des traces bleutées dans les pièces d’une maison plongée dans le noir : d’énormes quantités de sang ont été effacées et témoignent, par leur disposition, de l’atrocité d'un crime, qui fut long et douloureux. Grâce aux secrets de la chimie, l’invisible se révèle à l’œil nu. Le produit miracle ? Une substance appelée Bluestar© qui réagit avec le fer contenu dans l’hémoglobine et émet une lumière fluorescente lorsqu’elle est appliquée sur des surfaces suspectes. Les traces de sang jouent un rôle prépondérant pour déterminer les circonstances d’un meurtre. Ovales ou rondes, les gouttes de sang en disent long sur les gestes du criminel et de sa victime. Dans un documentaire diffusé récemment sur France 5 (Ces femmes qui luttent contre le crime, Ouest Phare Productions), des journalistes ont suivi le quotidien du maréchal des logis en chef Céline Nicloux, experte en "morpho-analyse des traces de sang". Membre de l’I.R.C.G.N., cette mère de famille de 32 ans s’est imposée comme spécialiste des empreintes de sang sur les scènes de crime. Par l’étude minutieuse de leur forme, leur taille et leur emplacement, elle reconstitue le scénario macabre. Elle peut aussi conclure à la culpabilité ou à l’innocence d’un suspect dont les vêtements, tachés de sang, désignent sa présence sur les lieux du crime, sans pour autant en être l’auteur. Ce dernier peut avoir porté secours à la victime et aurait été souillé par contact. Mais s’il porte des traces d’éclaboussures, il était là au moment de l’agression. Ce qui le rend coupable. De crime ou de complicité ? A l’enquête de le déterminer.

Le feu aux poudres

Dès son plus jeune âge, l’homme adore jouer avec un pistolet. Dans la rue ou les squares, combien de petits garçons arborent leur revolver de cow-boy ou de gendarme à leur ceinture ? Or, cette fascination pour les armes à feu ne s’estompe pas toujours avec l’âge. De grands garçons en font un métier. D’autres commettent des crimes. Quand j’ai acheté ma première réplique de pistolet, j’étais étudiant à Lyon. Fan de James Bond et de théâtre, je cherchais une reproduction du fameux Walther PPK pour une mise en scène. Or, même à blanc, le premier coup de feu est toujours stupéfiant. Tétanisant, je dirais. Aucun risque de tirer une vraie balle. Sur un pistolet d’alarme, le canon est obstrué. Toutefois, par mégarde, j’avais chargé l’arme avec une cartouche de gaz incapacitant. Après avoir fait feu, j’ai été violemment pris à la gorge par un nuage lacrymogène. Depuis, je prends bien soin de lire l’emballage des munitions. Et veille à garder mes distances par rapport à ma "cible". Car, avec des balles à blanc, le tir à bout portant voire touchant peut engendrer de graves brûlures. Dans le cadre d’une affaire criminelle, la science qui porte sur l’étude des balles, des douilles et des résidus de poudre s’appelle la balistique. C’est l’art de comparer, entre un indice prélevé sur une scène de crime et un tir de référence, les micro-rayures laissées par une arme sur une balle ou une douille. Et identifier l’arme du crime. Vous avez tiré avec une arme à feu ? Même après vous être lavé les mains, il subsiste des traces de poudre et de gaz que le spectromètre de masse peut révéler. Enfin, à l’aide de fines baguettes ou de lasers, évaluer la distance de tir permet à l’enquêteur de localiser la position du tireur. Et de reconstituer le scénario de l’agression.

Arsenic et vieilles dentelles

Sans le savoir, j’ai passé toute mon enfance dans une rue de Paris qui porte le nom d’un célèbre médecin légiste, Mathieu Orfila, à qui l’on doit la toxicologie, science qui détecte et analyse les effets du poison dans le corps. Ce chimiste du XIXème siècle a démontré que, une fois absorbée, une substance toxique se répand dans l’organisme et y subsiste, même longtemps après la mort. Son travail a consisté à mettre au point des tests chimiques pour en déceler des traces dans les principaux organes (foie, rein,…) et dans le sang. Le poison a été une des armes les plus utilisées de l’histoire. Au XVIIème siècle, à l’origine de la célèbre affaire des poisons, l’arsenic était surnommé "poudre de succession" car, administré aux riches, il hâtait les héritages. D’autre part, le poison est au cœur du premier roman policier d’Agatha Christie, La Mystérieuse Affaire de Styles, publié en 1920. Dans son Autobiographie, elle s’en explique : « L’idée d’écrire un premier roman policier me vint tandis que je travaillais au laboratoire de pharmacie de l’hôpital… Je me mis à réfléchir au type d’intrigue que je pouvais utiliser. Comme j’étais encore entourée de poisons, peut-être était-il assez naturel que je choisisse la mort par empoisonnement ». Un crime sournois, plus difficile à résoudre pour l’époque. Mais certains signes ne trompent pas ! Avec le cyanure, la victime a la peau rouge et dégage une odeur de pêche. L’acide chlorhydrique provoque des brûlures autour de la bouche, des lèvres et du nez. L’atropine dilate les pupilles tandis que les dérivés de l’opium les contractent. Dans les années 1950, une femme a défrayé la chronique judiciaire, Marie Besnard (interprétée au cinéma par Alice Sapritch en 1986 et par Muriel Robin dans un téléfilm en 2006). Elle fut soupçonnée d’avoir empoisonné treize personnes à l’arsenic, dont son propre mari. Malgré trois procès, la "bonne dame de Loudun" fut condamnée puis acquittée, faute de preuve formelle. En effet, pour la défense, la présence d’arsenic dans les victimes, exhumées pour les besoins de l’enquête, pouvait avoir de multiples causes. Outre des erreurs de procédure et une enquête qui piétine au point de lasser l’opinion publique, le jugement s'appuie sur une expertise au cimetière de Loudun qui révèle une saturation anormale de la terre en arsenic, en provenance des ornements funéraires. La condamnation s'effondre. Mais le mystère reste entier....

Who are you ?

Avec le Cluedo, le jeu de société Qui est-ce ? fait partie des classiques des jeux d’enquête. Inspiré du portrait-robot, il consiste à identifier le visage d’un personnage en procédant par élimination des autres suspects : moustache ou barbe ? A-t-il des lunettes ou un gros nez ? Blond ou châtain ? Le gagnant est le premier à deviner le portrait de l’autre joueur. Mais si, dans ce jeu, le nombre de possibilités est limité, l’exercice de l’identification est plus ardu dans le cadre d’une enquête criminelle. Car il s’appuie généralement sur la mémoire d’un témoin ou d’une victime. Or, en situation de stress, elle peut faillir et occasionner des erreurs. Par exemple, ce n’est pas son portrait-robot, établi avec l’aide d’une de ses victimes, qui a permis d’arrêter le tueur en série, Guy Georges, le 26 mars 1998. Au contraire, faute de ressemblance entre le meurtrier et son portrait, il a échappé à la police et commis d’autres crimes. C’est finalement son ADN qui a mis fin à sa folie meurtrière, confortant du même coup la mise en place du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). En revanche, la diffusion d’un portrait-robot, même peu ressemblant, peut provoquer la panique du suspect et le conduire à se rendre. Comme ce fut le cas en 2008 pour l’assassin des deux français à Londres. Le système du portrait-robot à l’aide de fiches amovibles existe depuis 1955. On le doit à un policier français, l’inspecteur Emilien Paris, pour les besoins d’une enquête sur l’assassinat en France d’une institutrice anglaise. Depuis, le jeu de fiches a été remplacé par l’ordinateur qui offre de nouvelles possibilités comme le morphing ou le vieillissement de la personne. Sur internet, on peut trouver des sites qui proposent gratuitement des logiciels de portrait-robot. Essayez de dresser le portrait-robot d’un proche. Ce n’est pas si facile ! Alors imaginez un suspect, croisé brièvement, dans un lieu mal éclairé ! Une autre forme d’identification faciale force mon admiration : la reconstitution d’un visage à partir du crâne. Le sculpteur réalise un moulage du crâne, sur lequel il fixe des bâtonnets correspondant à l’épaisseur des tissus. Puis, il le couvre d’argile jusqu’à l’extrémité des bâtonnets et remplace les yeux par des boules en plastique. Pour le nez, la bouche et les oreilles, il s’appuie sur des mesures anthropomorphiques universelles : la largeur du nez est identique à la distance entre les coins internes des yeux, la bouche est de même taille que l’écart entre les pupilles,… Maquillage et perruque, et le tour est joué ! Là encore, les progrès de l’informatique sont venus appuyer cette méthode. En outre, le scan 3D d'un crâne peut révéler d’infimes blessures sur l’os et les modéliser pour une comparaison avec une arme suspecte. La première reconstitution faciale date de 1895 quand l’anatomiste suisse Wilhelm His prouva que des restes humains retrouvés dans une église d’Allemagne étaient ceux du célèbre compositeur J.S. Bach. Une modélisation en 3D de son crâne permit la réalisation d’un portrait très ressemblant. Quelle tête avaient les premiers hommes préhistoriques ? Pour le savoir, un scientifique soviétique eut recours à cette technique en 1960 sur des crânes enfouis dans le sol de Sibérie.

L’assassin court toujours ?

Imaginez combien d’affaires criminelles auraient été résolues si les enquêteurs de l’époque avaient bénéficié des avancées de la criminalistique ! Jack L’Eventreur aurait-il nargué aussi longtemps les inspecteurs de Scotland Yard ? Mais le policier ne renonce jamais. Même des siècles après les faits. De nos jours, les techniques de la police scientifique ont permis de lever le voile sur plusieurs mystères de l’histoire. Napoléon a-t-il été empoisonné à Sainte-Hélène ? Les premières rumeurs datent de 1960 lorsque de fortes doses d’arsenic ont été découvertes dans ses cheveux. En 2008, une étude conclut que la quantité d’arsenic, même cent fois supérieur aux valeurs admises aujourd’hui, est identique à celle contenue chez des contemporains de Bonaparte. En effet, à l’époque, de nombreux objets de la vie courante contenaient de l’arsenic. Nous en avons déjà parlé. La preuve d’un crime n’est donc pas formelle… Les ossements retrouvés dans le grenier d’une pharmacie parisienne en 1867 étaient-ils bien ceux de Jeanne d’Arc ? Non ! En 2006, un médecin légiste identifie le fémur d’un animal, imprégné d’une mixture noirâtre mais non calcinée, les signes de l’embaumement selon la tradition égyptienne. Aurait-on cherché à tromper l’opinion publique en faisant passer les restes d’une momie de chat, vieille de 2 500 ans, pour ceux de la pucelle d’Orléans ? Quelle idée ! Qu’est-il arrivé à Agnès Sorel, la favorite du roi de France Charles VII, morte subitement à l’âge de 28 ans ? Crime ou accident ? Sa disparition aurait ravi les prétendantes. Entre 2004 et 2005, une autopsie est pratiquée par une équipe internationale de chercheurs. Or, ils retrouvent du mercure en grande quantité. Utilisée à l’époque pour soigner les maladies intestinales, elle a pourtant été absorbée en quantité dix mille fois supérieure à la dose normalement prescrite. Suspect… Enfin, l’enfant mort au Temple était-il Louis XVII ? Une analyse ADN pratiquée en 2000 sur le cœur d’un enfant mort au Temple en 1795 et attestée le 8 juin 2004 par le professeur Jean Tulard, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, a révélé qu’il s’agissait bien de celui de Louis-Charles de France, second fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. A-t-elle suffi à faire taire les partisans de la survivance du prince à son emprisonnement ? Rien n’est moins sûr… Car la science aura beau résoudre des énigmes, l’homme continuera à y croire. Pour la beauté du mystère…

Pour aller plus loin (sur le web) :


Autopsie d'un meurtre : un jeu interactif et éducatif à la découverte des techniques de laboratoire de la police scientifique, à partir de l'analyse d'une scène de crime. Réalisé par le Centre des Sciences de Montréal.

Police scientifique : Un film de 36 mn sur les coulisses de l'I.R.C.G.N. (en streaming).

I.N.P.S. : Le site de l'Institut National de Police Scientifique.

La police scientifique, de la scène de crime au laboratoire : Un portail très complet sur le site de la BSI (Bibliothèque des Sciences et de l'Industrie).

Ultimate Flash Face : un logiciel gratuit en ligne de portrait-robot.

Etna Production : Fournisseur de produits de police technique et scientifique. Vente réglementée.

Remerciements : Hervé Jourdain