mercredi 3 février 2010

Vendre, c’est savoir dire non !



Comme un appareil électronique qui défie les lois du développement durable, je reste en veille permanente et pratique l’intelligence économique. Je me suis souvent demandé d’où venait cette expression. L’intelligence, c’est peut-être l’art de détecter une information pertinente dans le flot d’actualités qui nous inonde. Et la rendre actionnable, économiquement, dans l'espoir d’une opportunité de business. C’est pourquoi je ne lis jamais rien sans un crayon en main. Et régulièrement, je découpe un article ou j’arrache la page d’un magazine, même chez le dentiste, parce que, à mon sens, je flaire une valeur ajoutée, à la fois intellectuelle et opérationnelle. Cet exercice est extrêmement stimulant. Essayez ! Parfois, je "pige" comme on dit, je classe cette page pour plus tard, comme un agent dormant. Je la laisse murir. Et puis, un jour, concours de circonstances, je l’exhume. En novembre dernier, je suis tombé par hasard (mais est-ce vraiment du hasard ?) sur la 300ème édition du magazine Action commerciale qui, pour l’occasion, a donné la parole à des ténors de la vente, des managers qui ont consacré leur carrière à la fonction commerciale, peu estimée en France par rapport aux Etats-Unis. Des témoignages qui répondent à des questions fondamentales : qu’aimez-vous dans la vente ? Comment a évolué le métier de vendeur ? Quel est votre meilleur et votre pire souvenir de vendeur ? En croisant les réponses, nous pouvons en tirer plusieurs enseignements riches et nourrir ainsi notre approche de la communication au service de la performance commerciale.
Même si ceux qui l’exercent reconnaissent que la vente est une "école de la vie", exigeant beaucoup de temps pour éprouver les challenges, elle souffre d’une mauvaise réputation dans l'hexagone. C’est Xavier Cornu, l’un des créateurs du premier centre de formation à la vente et à la négociation commerciale, Negocia, qui s’étonne qu’aucune expression employant le verbe "vendre" n’a de portée optimiste : "vendre son âme au diable", "vendre la mèche", "vendre la peau de l’ours"… Le vendeur a beaucoup souffert de cette image du beau parleur blasé qui se fraie un chemin dans la jungle des affaires. As de la tchatche, il ne vous lâche pas tant que l’encre de votre stylo n’a pas coulé sur son contrat. Sourire ultra-brite et haleine alcoolisée, il passe son temps sur la route, le coffre bourré d’échantillons, ou dans les brasseries. Stop ! Oublions la caricature du mercenaire, dont le dessinateur Gabs se moque avec légèreté dans Commercial, je me marre !!!, et voyons les choses autrement.
Jouissant d’une forte liberté d’action (une qualité qu’il apprécie), le vendeur est à l’avant-poste du produit : « Ce n’est pas le produit qui fait la différence, mais le commercial et les relations qu’il peut tisser avec ses clients » explique Arnaud Rossignol, commercial chez Würth, spécialiste des fixations. C’est pourquoi la dimension émotionnelle est prédominante. Tous les commerciaux reconnaissent l’expérience humaine au cœur de leur motivation. Ils ont la mission de créer, en première ligne, des relations de confiance durable avec leurs clients. « Ce qui m’attire dans la vente, c’est la curiosité de l’autre ! » reconnait Arnaud Poujardieu, directeur général de BlueKiwi Software France. Or, ces liens, qui peuvent à terme devenir amicaux, se fondent sur l’envie explicite de faire gagner l’autre. Et non de le faire cracher au porte-monnaie. A ce titre, je cite souvent le consultant Christian Lemoine : « Quand le client lit dans mes yeux le souci de son bonheur, il signe le devis. Mais quand il y voit son chèque, il me fuit. Pour bien vendre, il faut oublier de vendre. Ce qui compte, c’est d’abord et avant tout la passion de faire réussir son client. » Il y a donc toujours une part d’incertitude lorsqu’un commercial est en situation de vente. Car le contact humain n’est pas rationnel. « Aujourd’hui encore, quand je rencontre un prospect, j’ai le trac ! ». Cette confidence ne vient pas d’un débutant, au bord de la syncope dans une salle d’attente, mais du président de la direction des marchés émergents de Xerox, Jacques Guers. La vente est donc un métier à risque, concret et humble, qui appelle à une fréquente remise en question, où il faut oser et dont les résultats sont immédiatement mesurables. Les enjeux de la vente méritent donc le respect de ceux qui en profitent.
Aujourd’hui, le vendeur n’est plus un loup solitaire, genre inspecteur de guide gastronomique, mais plutôt un expert des réseaux et du travail collaboratif. Directeur national des ventes de Ricard, Guillaume Girard-Reydet témoigne : « J’ai connu une génération de vendeurs qui voulait changer le monde. Aujourd’hui, ils n’aspirent plus qu’à y trouver leur place. » La fonction s’étant structurée, avec des méthodes rationnalisées et des formations désormais dédiées, le commercial exerce sa tâche de concert avec le marketing et la R&D. Ce qui a valu quelques grippages entre services. Je me souviens d’un séminaire pour Kärcher, leader mondial du matériel de nettoyage, dont l’objectif était de réconcilier sa force de vente avec les outils du mix-marketing, fortement délaissés. Figures de terrain, les commerciaux n’optimisaient pas assez leurs résultats, faute de préparation aux rendez-vous avec les acheteurs et par manque de maîtrise de leurs avantages concurrentiels. Outre la motivation et l’esprit d’équipe, l’activité de team-building dont j’avais la responsabilité devait renforcer cette prise de conscience que les études de marché et la stratégie marketing sont au service du vendeur et non l’inverse.
Bien sûr, une trop forte mécanisation de la vente peut faire perdre au vendeur sa spontanéité et sa débrouillardise. Car le vendeur est avant tout un homme ou une femme d’expérience qui écoute son intuition. Ainsi, premier baromètre de la prospection et de la négociation, c’est à lui que revient le choix des outils. Et tout le talent du manager commercial revient à entraîner son équipe dans une dynamique d’appropriation de ces outils. Tout en veillant à ce qu’ils ne soient pas perçus comme des vecteurs de contrôle, de "flicage" comme j’ai pu entendre en convention.
Vendre, c’est d’abord communiquer. Car, au-delà de l’enjeu mercantile, c’est l'expression d'une aventure humaine. Chacun d’entre nous, quelle que soit sa responsabilité, pratique au quotidien une forme de vente : la vente de soi, d’un produit, d’un service ou d’un argument. C’est un exercice où l'écoute, le sens du service et l’esprit de conviction sont la clef.
Quand à moi, mon meilleur souvenir de vente, étonnamment, est une non-vente. En déplacement à Lille pour défendre un projet de séminaire devant le directeur des achats d’une grande enseigne du bricolage (mais si, vous savez, ils sponsorisent Question Maison sur France 5 et, avec eux, « vos envies prennent vie »…), j’ai été amené à refuser d’entrer dans le jeu d’une négociation budgétaire pernicieuse où je me demandais si j’étais là pour vendre du bois ou du service. Cela s’est joué à 10 euros près. Après plusieurs compromis, j’ai refusé de céder à une ultime exigence, peut-être par orgueil mais surtout par principe. Mon interlocuteur, dont j’étais la victime des méthodes carnassières en usage dans le milieu de la grande distribution, a voulu tirer sur la corde au maximum. A son avantage. Et elle a cassé. Je n’ai pas eu l’affaire. Mais je suis reparti de Lille, l’estomac plein de bière et de waterzoï. Et surtout, l’esprit serein. Pour la première fois, alors que je n’avais pas les moyens de cracher dans la chicorée, je me suis permis de dire non à un prospect. De rompre une relation que j’estimais déséquilibrée. Car refuser de bosser pour un client, c’est toucher au plus profond de vos tripes ce qui vous pousse à travailler pour un autre ! Ce jour-là, j’ai enfin appris en quoi consistait la vente.