jeudi 9 octobre 2014

La fièvre de l'indifférence

Les Français se soucient-ils du virus Ebola, du nom de cette rivière du Congo (anciennement Zaïre) où a été identifié le premier cas de fièvre hémorragique en 1976 ? Les images des transferts, sous haute protection, de patients frappés par cette maladie mortelle sont stupéfiantes. On dirait un film de science-fiction. Comme dans la série télé X-Files où des humains sont contaminés par un virus extra-terrestre. Ou bien dans Je suis une légende de Francis Lawrence, adaptation du roman de Richard Matheson avec Will Smith dans le rôle-titre, où un vaccin contre le cancer mute en pandémie transformant les victimes infectées en créatures ultra-violentes. Au travers de ces fictions, le message est clair : lorsqu'il joue à l'apprenti-sorcier, l'homme se condamne.

Dans le cas d'Ebola, sans être à l'origine du plus dangereux virus de la planète, l'homme doit en enrayer la progression. A l'heure actuelle, les organisations humanitaires et sanitaires luttent contre sa propagation en Afrique de l'Ouest, Liberia et Sierra Leone en tête. Sur place, les projections sont alarmantes. Dans un entretien aux Echos, Christian Sommade, délégué général du Haut Comité français à la défense civile, évoque le chiffre de "250 000 à 1 million de cas d'ici à la fin de l'année, soit 100 000 à 300 000 morts en théorie". Des chercheurs estiment à 75% le risque de voir le virus atteindre la France d'ici 20 jours. 50% en Grande-Bretagne. Or, il a déjà pris pied en Europe, au compte goutte. Une infirmière qui a soigné un prêtre espagnol atteint d'Ebola, décédé fin septembre à Madrid, a été contaminée. Le virus se transmet par contact épidermique ou fluide corporel. Jusqu'à maintenant. Et s'il évoluait vers les voies respiratoires ?

Tout ceci résonne comme un scénario catastrophe. Une menace de l'infiniment petit qui dépasse notre propre potentiel de destruction massive et pose, une fois encore, la question eschatologique de la fin de l'humanité : dans l'hypothèse de son extinction, serait-elle victime d'un holocauste nucléaire, d'une chute de météorite ou d'une particule virale ? Dans la Guerre des Mondes de H.G. Wells, ce n'est pas l'arsenal militaire qui vient à bout des martiens mais un microbe terrien. Un simple rhume nous sauve ! Cependant, qu'ils soient tueurs ou salutaires, les organismes microscopiques inquiètent car leur mode opératoire est pernicieux. "Tout ce qui ne se voit pas mais qui est immense" dit Rouletabille dans Le mystère de la chambre jaune, en expédition sous le lit de Mlle Stangerson à la recherche d'infimes indices. Il existe en effet un danger invisible bien plus grand que les conflits ou la stupidité. C'est l'indifférence.

Et on compte déjà en nombre les victimes de ce fléau : les naufragés de Lampedusa, les adolescents fragiles bercés par les sirènes du djihad, les affamés de la corne d'Afrique, les populations meurtries par les guerres,... L'indifférence est un poison qui enfièvre sournoisement le monde. Il se transmet par voie médiatique lorsque, aux infos, la priorité est donnée aux bisbilles politiques et à l'incompétence des gouvernants. Hier encore, le JT de France 2 montrait un Gange malade de sa pollution. Car l'indifférence frappe aussi la nature. Lorsque notre regard ne porte pas loin, nous accumulons les déchets "sous le tapis" et surexploitons nos ressources. Après son vibrant Plaidoyer pour l'altruisme, le moine bouddhiste Matthieu Ricard, également docteur en génétique cellulaire, publie un Plaidoyer pour les animaux, arguant sur Europe 1 que notre compassion, première pour l'homme, peut aussi s'étendre à l'animal, être vivant consommable et victime de "chosification". Aveuglement, individualisme et vanité sont les symptômes de l'indifférence. Or, contrairement à Ebola, il existe un remède : c'est l'intériorité. Car seul face à soi-même, la vérité éclate et guérit. La charité est une autre histoire.