jeudi 11 septembre 2014

Le jour où je porterai deux montres

Tim Cook, PDG de Apple, pendant la Keynote du 9 septembre.
En pleine Keynote, à la faveur des annonces, le cours de l'action ressemblait à la courbe d'un électrocardiogramme. Mardi dernier, Apple a dévoilé sa révolution dans l'univers des objets connectés, l'Apple Watch, qui perd son "i" pour l'occasion. D'après les rumeurs, la dénomination retrouverait sa lettre symbolique lors de la commercialisation, le temps de régler les incompatibilités juridiques avec l'iSwatch du groupe Swatch. Pendant ce show de deux heures dans une salle survoltée de Cupertino, le nouvel iPhone a également été présenté. D'ailleurs, on ne pouvait raisonnablement pas imaginer un lancement sans l'autre. Car parler uniquement de l'iPhone 6, ce serait gaspiller sa salive pour une version de plus. Et révéler seulement la Watch, même si elle n'est pas encore disponible, avant de refaire l'exercice pour l'iPhone, c'est servir un petit cidre après un grand Bordeaux. Bref, Apple a encore tout juste dans sa stratégie de communication : frapper fort.

Pourquoi la marque à la pomme en avait-elle tant besoin ? D'abord, dans un climat de stagnation de ses parts de marché, sur fond de polémique (piratage de photos de stars dénudées sur l'iCloud), il était urgent pour cet empire de contre-attaquer en reprenant sa place de locomotive économique sur des territoires fortement concurrentiels. Mais aussi, ce fut l'occasion de créer une nouvelle rupture technologique, une "distorsion de la réalité" que n'aurait pas boudé son fondateur visionnaire, Steve Jobs. Certes, avec sa Watch, Apple n'a pas inventé la montre connectée mais, forte de sa notoriété, l'entreprise en a sublimé le concept.

Fidèle à la tradition, le design est soigné et offre à l'utilisateur une nouvelle occasion de revendiquer sa différence identitaire et son sentiment d'appartenance. Apple est une religion. Ce qui a toujours été la philosophie de l'entreprise : ses produits ne sont pas importants pour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils permettent de faire. Avec son écran en cristal de saphir (pour les éditions haut de gamme) et ses multiples bracelets interchangeables, la Watch est élégante, résistante et personnalisable à l'envi. Un symbole de perfection où les apparences du cadran peuvent changer au gré des humeurs. La navigation a fait l'objet d'une nouvelle ergonomie, tant mécanique (bouton "scroller") que tactile. Relais de l'iPhone au poignet, la Watch devient désormais une télécommande à sensations. Ses meilleurs atouts ? Se guider dans la rue en temps réel (elle vibre selon les instructions de la carte qui s'affiche dans le sens du déplacement) ; répondre, transmettre ou faire patienter un appel le temps de trouver son téléphone au fond de son sac ; commander sa musique (plus agréable qu'au casque) ; cadrer et prendre des photos à distance sans sacrifier l'éternel photographe qu'on ne voit jamais dans les albums de famille. Il serait même possible de se faire signe en réunion entre porteurs de la Watch grâce à des impulsions sur la peau. Le gadget de James Bond n'est pas loin. Les opportunités de drague non plus.

Toutefois, le produit magique pose quelques questions. D'abord, les fonctionnalités de fitness, déjà disponibles sur des produits plus compétitifs, n'ont d'intérêt que si elles sont couplées en direct avec l'iPhone. Ce qui veut dire que la Watch n'est pas totalement indépendante. D'autre part, saura-t-elle remplacer la montre classique qui est aujourd'hui un bijou à part entière. On voit mal en effet comment porter les deux modèles, un à chaque bras. Une inquiétude que Jony Ive, le designer en chef chez Apple, a balayé dans le New York Times mettant en garde l'industrie horlogère suisse contre des années noires. Simple tactique marketing ou vrai défi ? Autre bémol : dans un monde pressé et exigeant, les inconditionnels de la notification seront encore moins attentifs et encore plus drogués à l'instantanéité. Enfin, encore un chargeur de plus pour une autonomie sur laquelle le constructeur n'a pas vraiment rassuré.

Quoi qu'il en soit, il reste plusieurs mois pour faire monter le désir ou céder à la raison du prix (349 dollars soit 270 euros environ). Comme l'iPhone et l'iPad avant elle, l'Apple Watch puise surtout sa légitimité dans sa capacité à inspirer les développeurs, à devenir un générateur d'innovations, un "cheval de Troie" pour créer de nouveaux usages. Qui sera le premier à imaginer la "killer app", l'application qui va justifier à elle toute seule l'achat du produit. "Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde y parviennent", disait une pub Apple. Les jeux sont ouverts.