mercredi 20 août 2014

Motif de fâcherie

C’est un hold-up qui ne manque pas de répercussions philosophiques à l’échelle du monde. Entendre aux infos, à l’heure du laitier, que le prince saoudien, victime d’un spectaculaire braquage à Paris, n’a pas porté plainte ni bouleversé ses projets tellement le butin dérobé (500 000 euros selon Europe 1) est une peccadille dans son budget de nabab me donne la nausée. Les malfaiteurs en seraient presque excusables. Alors que les Français s’apprêtent à affronter une rentrée économique difficile, sous la menace de la déflation, avec un gouvernement aussi impuissant que donneur de leçons, cette arrogance médiatisée vis-à-vis de l’argent a quelque chose d’indécent.

Dans un entretien accordé au magazine "Enjeux Les Echos" de cet été, l’académicien Erik Orsenna, fin connaisseur des matières premières, dénonce l’absurdité des rentes : « Plus ça va, plus je hais la rente, toutes les rentes, quelles qu’elles soient. Celle de l’émir du Qatar comme celle des cheminots. Les biens de la terre devraient être communs. Que quelqu’un qui a créé une entreprise, comme Bill Gates, soit richissime, c’est magnifique. Mais que l’émir du Qatar le soit, c’est une honte ! Franchement… qui sont les plus utiles à la société ? Ceux qui partent à la retraite à 50 ans ou ceux qui se battent pour créer des emplois ? »

Même si elles profitent au tourisme du luxe, les extravagances de ces rentiers du pétrole, flambeurs de dollars, font perdre à la majorité d’entre nous la mesure et le rôle de l’argent. Ainsi, lit-on dans les journaux que les industriels préfèrent verser des dividendes aux actionnaires plutôt que d’investir dans l’économie productive et que les citoyens privilégient l’épargne à la consommation. Sans pédagogie ni confiance, le rapport à l’argent est ainsi brouillé par le repli sur soi.

Comment faire comprendre à un étudiant méritant dont la bourse d’étude a été revalorisée à la baisse que c’est la spéculation d’une autre bourse qui a fait gagner des milliards aux géants du net ? Relisons La Fontaine et sa fable de la grenouille ! Quel message voulons-nous donner à nos enfants ? Que la richesse se gagne par hasard et non par l’effort ? Que les patrimoines que nous leur transmettons ont été façonnés par la chance d’être assis au bon endroit et non par les aventures entrepreneuriales de nos aïeuls ? Tant que nous n’aurons pas réglé ces questions, le grisbi restera un motif de fâcherie.

Et il n’est pas nécessaire de réchauffer les vieilles rengaines idéologiques sur les ravages du capitalisme débridé pour reconnaître que, "bien mal acquis", les flux financiers abreuvent les frustrations, partout dans le monde, et jettent de l’huile sur le feu des contestations. Or, par le gaspillage, la triche ou l’abus de futilités, nous avons tous une part de responsabilité dans l’accroissement des inégalités. N’oublions jamais que l’argent n’a de valeur que s’il est employé à faire le maximum de gagnants. Non de perdants.