C’est
un hold-up qui ne manque pas de répercussions philosophiques à l’échelle du
monde. Entendre aux infos, à l’heure du laitier, que le prince saoudien, victime
d’un spectaculaire braquage à Paris, n’a pas porté plainte ni bouleversé ses
projets tellement le butin dérobé (500 000 euros selon Europe 1) est une peccadille
dans son budget de nabab me donne la nausée. Les malfaiteurs en seraient presque excusables. Alors que les Français s’apprêtent à affronter une rentrée
économique difficile, sous la menace de la déflation, avec un gouvernement aussi
impuissant que donneur de leçons, cette arrogance médiatisée vis-à-vis de
l’argent a quelque chose d’indécent.
Dans
un entretien accordé au magazine "Enjeux Les Echos" de cet été, l’académicien
Erik Orsenna, fin connaisseur des matières premières, dénonce l’absurdité des
rentes : « Plus ça va, plus je
hais la rente, toutes les rentes, quelles qu’elles soient. Celle de l’émir du
Qatar comme celle des cheminots. Les biens de la terre devraient être communs.
Que quelqu’un qui a créé une entreprise, comme Bill Gates, soit richissime,
c’est magnifique. Mais que l’émir du Qatar le soit, c’est une
honte ! Franchement… qui sont les plus utiles à la société ? Ceux qui
partent à la retraite à 50 ans ou ceux qui se battent pour créer des emplois ? »
Même
si elles profitent au tourisme du luxe, les extravagances de ces rentiers du
pétrole, flambeurs de dollars, font perdre à la majorité d’entre nous la mesure et le rôle de l’argent. Ainsi, lit-on dans les journaux que les industriels préfèrent
verser des dividendes aux actionnaires plutôt que d’investir dans l’économie
productive et que les citoyens privilégient l’épargne à la consommation. Sans pédagogie
ni confiance, le rapport à l’argent est ainsi brouillé par le repli sur soi.
Comment
faire comprendre à un étudiant méritant dont la bourse d’étude a été
revalorisée à la baisse que c’est la spéculation d’une autre bourse qui a fait
gagner des milliards aux géants du net ? Relisons La Fontaine et sa fable de la
grenouille ! Quel message voulons-nous donner à nos enfants ? Que la
richesse se gagne par hasard et non par l’effort ? Que les patrimoines que nous
leur transmettons ont été façonnés par la chance d’être assis au bon endroit et
non par les aventures entrepreneuriales de nos aïeuls ? Tant que nous
n’aurons pas réglé ces questions, le grisbi restera un motif de fâcherie.
Et il
n’est pas nécessaire de réchauffer les vieilles rengaines idéologiques sur les
ravages du capitalisme débridé pour reconnaître que, "bien mal acquis",
les flux financiers abreuvent les frustrations, partout dans le monde, et
jettent de l’huile sur le feu des contestations. Or, par le gaspillage, la
triche ou l’abus de futilités, nous avons tous une part de responsabilité dans l’accroissement
des inégalités. N’oublions jamais que l’argent n’a de valeur que s’il est
employé à faire le maximum de gagnants. Non de perdants.