mercredi 18 septembre 2013

La fracturation hypocrite

Après le mariage pour tous, la sécurité pour personne. Déchirée sur les questions d'union, de filiation et de gender, la France subit désormais un nouveau coup de canif dans sa cohésion nationale : l'insécurité. Entre les partisans d'une justice réservée aux magistrats et les adeptes de l'auto-défense, le torchon brûle. A force de couper notre pays en deux puis en quatre sur tous les sujets de société, le vivre-ensemble va finir en confettis. Impossible de renouer avec la croissance sans solidarité. Et le pouvoir politique joue à l'apprenti-sorcier en déposant des projets de loi sans véritable pédagogie. A défaut d'être rassembleur, il souffle sur les braises. C'est la fracturation hypocrite. Une dislocation ciblée des couches sociales par l'injection de mauvaise foi à haute pression. Une lutte des classes revisitée.

Soutien au bijoutier de Nice. En 3 jours, plus d'un million et demi de fans sur Facebook. Les chroniqueurs du web ont d'abord crié à l'arnaque. Un peu trop vite. Car les statistiques ont fait vaciller leur expertise. Le nombre de personnes qui "en parlent" par rapport à celles qui "aiment" est la preuve qu'il existe bien une réalité derrière le virtuel. Une exaspération derrière les fautes d'orthographe. Ne reste-t-il plus aux citoyens que le poids du nombre pour exprimer leur ras-le-bol ? Dimanche dernier, le JDD, imité par d'autres journaux, faisait le lien entre le succès de cette mobilisation numérique et la montée du FN. Un raccourci de journaliste pour vendre du papier. Car les mécontents ne sont pas tous des extrémistes.

Certes l'indignation est légitime. Il est insupportable qu'un commerçant soit la victime de plus d'une vague de braquages qui terrorisent une profession et une région. Insupportable que la délinquance et les trafics en tous genres gangrènent l'Etat de droit et recrutent dans la rue une jeunesse désoeuvrée et décomplexée. Insupportable qu'un procureur de la République suppose, sans expertise balistique, que le bijoutier ait agi par homicide volontaire, autrement dit avec la ferme intention de tuer, sans tenir compte du choc émotionnel. Mais insupportable aussi qu'un homme soit mort, au bout du compte. Les Français sont désormais entraînés dans une spirale de violence, physique ou verbale. Et le gouvernement, de la place Beauvau à la place Vendôme, ne paraît plus crédible pour l'enrayer.

Ce matin, Europe 1 s'est pris pour l'anti-chambre du juge d'instruction. Thomas Sotto, le nouvel anchorman, "confrontait" le bijoutier de Nice au frère du braqueur décédé, par témoignages interposés. Les couteaux tirés à une heure de grande écoute : pas très malin. Irréconciliables, les auditeurs vont maintenant radicaliser leur position, dans un climat d'injustice et d'irresponsabilité : la fusillade à l'US Navy qui relance le débat sur la vente d'armes, le violeur franco-suisse qui pose la question de la libération conditionnelle des récidivistes, le projet de loi Taubira sur l'exécution des peines,...

Comment dépasser les sources de clivage ? D'abord il faut rompre avec le mensonge. Dans un entretien au Monde daté de ce jour, Jean-Marc Ayrault annonce que la pause fiscale promise par François Hollande pour 2014 ne "sera effective" qu'en 2015. Encore une occasion manquée de lucidité et d'honnêteté pour le chef de l'Etat. Et le signe d'une gouvernance qui ne sait pas où elle va. Or, la stratégie du tâtonnement n'a aucune chance de réenchanter les Français. Il faut aussi rompre avec le pessimisme. Restaurer la confiance en donnant la préférence médiatique à des modèles d'espérance et de moralité auxquels l'opinion publique peut s'identifier : les éducateurs à qui l'on confie l'avenir de nos enfants, le personnel médical qui résiste à l'agressivité des voyous aux urgences, les jeunes artisans qui reprennent le flambeau de leurs aînés, les visionnaires de l'entrepreneuriat qui créent de l'emploi dans les secteurs porteurs, etc. Des Français qui réussissent, la modestie chevillée au corps. Des vrais héros, tout simplement. Et arrêtons de glorifier les médiocres en distribuant des tableaux d'honneur aux footballeurs complexés, aux cinéastes tyranniques ou aux mannequins amaigris sur Photoshop. Qui est mon prochain ? Une question posée il y a 2 000 ans et qui n'a toujours pas trouvé de réponse.