jeudi 11 avril 2013

Les trois clefs de la vérité

"Pépère est-il à la hauteur ?" demande Le Point. "Monsieur Faible" a-t-il inauguré le "temps du dégoût" ? s’interroge Christophe Barbier dans L’Express. Pour VSD, Hollande est "l’homme qui n’en savait jamais rien". Le nouvel Observateur titre que la gauche est "piégée par l’argent". Et le Figaro Magazine décrypte les "mensonges de la République". Après le "Sarko-bashing", voici le "Hollande-bashing". Pour vendre du papier, les hebdos n’ont pas leur pareil pour tirer à boulets rouges sur tout ce qui gouverne. A tort ou à raison. Une posture justifiée ce matin par FOG sur Europe 1 : "Si vous voulez qu’on dise toujours du bien de vous et qu’on vous encense en permanence, moi j’ai une solution : ne soyez pas président de la République." Les dés sont jetés.

Victime d’une chute de crédibilité dont l’affaire Cahuzac n’a été que le détonateur, François Hollande est décrié par les médias comme l’homme inexpérimenté, sans feuille de route, qui s’accroche à des lunes électorales, anti-sociétales, au détriment des vrais menaces qui pèsent sur notre pays et suscitent l’inquiétude de nos partenaires européens. Par ce lynchage à la Une, les journalistes se font-il l’écho d’une opinion publique désabusée ou crient-ils haro sur un quinquennat qui a brisé des rêves de gauche ? Il s’agit en tous cas d’une crise de confiance structurelle entre le pouvoir, l’information et la nation. Or, d’après l’académicien Erik Orsenna, invité de la matinale de Bruce Toussaint ce jeudi, "la confiance ne reviendra que si on dit la vérité". Mais François Hollande est-il l’homme de la vérité ?

Comment la classe politique, en général, peut-elle renouer avec un discours de vérité ? En rhétorique, un orateur doit trouver des arguments, des "moyens de persuader", ce qu’Aristote (photo) nomme des "preuves". Elles sont au nombre de trois : l’êthos, le pathos et le logos. Sont-elles ici réunies ?

L’êthos est la dimension du discours qui relève de la réputation de l’orateur, de sa probité. Or, cette condition a fait pschitt. Certains politiques nous mentent. C’est un fait. Et, lorsqu’ils sont interrogés, ils opposent, par réflexe, un "démenti catégorique", les "yeux dans les yeux". Ce qui laisse le temps de désamorcer le drame en coulisses. En passant aux aveux, Jérôme Cahuzac a révélé les failles d’un système. La politique est un château de cartes où chaque joueur possède un joker contre un autre pour se défausser en cas d’attaque. L’affaire des comptes en Suisse fera-t-elle plier l’édifice ? Le jeu de la vérité, initié par le "traître" de la bande, sera peut-être l’occasion d’une purge démocratique.

Seconde dimension, le pathos. Dans cet exercice des émotions que l’orateur doit susciter, le président Hollande s’efforce de passer maître. Ses interventions télévisées, qu’elles soient préparées ou impromptues, tendent à le démontrer. Le "Moi Président" avait fait mouche en campagne. Lui reste-il des reliquats de passion qui galvaniseraient encore la foule ? Le mythe de la "présidence normale" avait une promesse : rompre avec la "courtisanerie" pour rendre le chef de l’Etat plus accessible, plus transparent, plus humain. Un idéal hélas impossible à incarner tant la fonction exige, par son histoire, une distance quasi monarchique avec ses compatriotes. Jetée en pâture dans les rues de Dijon, la normalité a fait tomber la veste du commandeur. Ainsi, dans un climat de déception, inutile de prendre des accents churchilliens en appelant le peuple au "sang et aux larmes". Les Français sont frappés d’anhédonie. Ils attendent l’électrochoc qui réveillera leur conscience : un remaniement, une démission soumise à référendum, une dissolution ? Tout sauf un discours aseptisé.

C’est ce que permet le logos, troisième dimension qui porte sur l’argumentation elle-même, c’est-à-dire le bien–fondé des informations qui convainquent l’auditeur. Cependant, pour qu’il y ait un orateur et son contradicteur, il faut un débat où chaque partie est respectée. Dans ce domaine, nos représentants ont encore du chemin à parcourir. Sur les bancs de l’Assemblée ou du Sénat, les idées semblent plus assujetties à des calculs personnels qu’à des enjeux collectifs et moraux. Les reformes engagées sont-elles lucides, éthiques et mesurées ? Pour preuve, le projet de loi sur le mariage homosexuel fracture la France en deux et attise les humeurs, en particulier sur les lignes de front où s’opposent les plus radicaux de chaque camp. D’où une montée d’actes violents et marginaux à soustraire de toute récupération politique. Dans cette escalade des maux, qu’adviendra-t-il des mots ? La vérité peut-elle émerger de l'écoute ? Il est urgent pour le président de la République de ne pas couper l’Etat de sa base. De ne pas cliver élus et électeurs. De donner de la place au débat public en assurant aux citoyens l’équité de parole. Car si la dialectique est en deuil, la communication ne résoudra pas tout.

Êthos, pathos et logos. Trois clefs pour la vérité. Le gouvernement, sa majorité, le chef de l’Etat et, pourquoi pas, les membres de l’opposition devraient tous méditer sur ces trois piliers de la pensée grecque et latine, résumée par Cicéron en ces termes : "prouver la vérité de ce qu’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause". Pour que la France n’éteigne pas ses Lumières au moment où la maison brûle.