Aujourd’hui, Vendredi Saint, au retour d’un chemin de Croix organisé sur le Champ de Mars,
je suis entré dans une église. Quel choc de la voir ainsi dépouillée de ses
ornements. Le Christ en croix était voilé. Les bougies éteintes et retirées,
les statues sans éclairage. Pas de fleurs. Ni couronnes. Derrière l’autel, le
tabernacle était vide. Sa porte ouverte. Au-dessus, la grande statue de la
Vierge à l’enfant était recouverte d’un immense drap violet. D’ailleurs, pourquoi
masquer le Christ en croix ? C’est pourtant le jour J. La disparition est
totale. Au milieu de l’après-midi, il fait nuit noire. Le désespoir. Le désert,
ce lieu théologique où le diable est en embuscade. D’ailleurs, aurais-je résisté aux
tentations, moi qui suis capable, comme mes semblables, de tuer Dieu ?
Alors,
devant ce spectacle d’une incroyable gravité, seul sur un banc, dans la
pénombre, j’ai fait l’expérience du vide de Dieu. Un face-à-face étrange avec
un monde sans transcendance, sans paternité divine, sans perspective. Une
humanité cambriolée à laquelle le souffle sacré aurait été enlevé. Un miroir abîmé
qui m’a renvoyé notre condition d’homme à la figure. Un homme, rejeton du
hasard, perfectible au point de renier Dieu, de refuser son incarnation, de livrer un homme
à la vindicte populaire, à la torture et aux crachats. Sans l'assurance qu’il
était ou non le Fils de Dieu.
D’habitude,
une lumière rouge marque une présence. Celle du Saint-Sacrement. Sans elle, je
suis désemparé. "L’esprit reste dans ses réduits ; l’âme n’a plus sa
piste d’envol" écrit Denis Tillinac dans son Dictionnaire amoureux du
catholicisme. La lampe rouge est un "phare, une vigie, un refuge".
Mais pas aujourd’hui. Un procès conduit à la va-vite a conclu à la mise à mort
du "Roi des Juifs". Pourtant soucieux de ne pas condamner un
innocent, Pilate a fait le mauvais choix. Et s’en est lavé les mains. D’une
saleté qui ne part pas : le doute. Une occasion manquée de
conversion ? Sur le Champ de Mars, j’étais pourtant au soleil, réchauffé
par ses rayons. Mais ici, dans cette église en deuil, j’ai froid. Le rideau du
temple s’est déchiré. "Mon âme est triste à en mourir" a dit Jésus,
au Jardin des Oliviers. Cela doit être ça.
Soudain, la grâce. Le prêtre qui avait animé le chemin de Croix entre par une porte de côté. Il rapporte
le matériel : une grande croix et 14 plus petites, une pour chaque station
marquée au pied de la Tour Eiffel. Il me sourit, s’étonne de ma présence, me
rassure. Le Christ s’est absenté. Malgré ce retour à l’envoyeur, il reviendra. Différemment
et pour de bon. C’est le cœur du credo : il ressuscita le 3e jour. D’ailleurs, si je compte bien, ça tombe le lundi et non dimanche. Peu
importe. On ne va pas chipoter sur le calendrier. D’autant qu’on perd une heure
de sommeil.
Le
samedi, c’est l’attente. La presque fin du calvaire. Pour les chrétiens
de nos jours. Parce qu’à l’époque, personne ne l’attendait. Pas même ses
disciples. La preuve : ils ne l’ont même pas reconnu lorsqu’il était au
milieu d’eux. Pour les enfants, il y a les cloches et les œufs en chocolat.
Pâques ne serait rien sans sa crise de foie. Et de foi. Car la Croix est une
absurdité. A l’office de la Passion, les fidèles en procession viennent y
déposer un baiser, certains sur le visage du Christ, d’autres à ses pieds,
comme au Jeudi Saint, après le lavement, signe d’humilité et de service. Quel
scandale que d’embrasser l’instrument d’un supplice ! Un symbole de mort.
Une porte. Oui mais celle du Paradis.
Au
cœur d’une actualité morose, portée par une politique sans vision ni lucidité,
la célébration de la Semaine Sainte est bien plus qu’une commémoration. C’est
une manière de théâtraliser le monde, de faire l’expérience de notre petitesse,
de notre dépendance à l’amour, de notre impossibilité à vivre sans espérance. En posant des gestes sans précédent, le pape François a bien compris
qu’il fallait raviver la ferveur des croyants. Donner un cap : "répondre au mal par le bien". Pour rétablir notre dignité. Car si le Christ n'était pas mort et ressuscité, tout cela n'aurait aucun sens. Allô, non mais allô quoi, t'es Dieu et t'as pas vaincu la mort ? Et bien si. C’est en substance ce que nous dit Saint-Paul. En substance.