vendredi 29 mars 2013

Crise de foi

Aujourd’hui, Vendredi Saint, au retour d’un chemin de Croix organisé sur le Champ de Mars, je suis entré dans une église. Quel choc de la voir ainsi dépouillée de ses ornements. Le Christ en croix était voilé. Les bougies éteintes et retirées, les statues sans éclairage. Pas de fleurs. Ni couronnes. Derrière l’autel, le tabernacle était vide. Sa porte ouverte. Au-dessus, la grande statue de la Vierge à l’enfant était recouverte d’un immense drap violet. D’ailleurs, pourquoi masquer le Christ en croix ? C’est pourtant le jour J. La disparition est totale. Au milieu de l’après-midi, il fait nuit noire. Le désespoir. Le désert, ce lieu théologique où le diable est en embuscade. D’ailleurs, aurais-je résisté aux tentations, moi qui suis capable, comme mes semblables, de tuer Dieu ?

Alors, devant ce spectacle d’une incroyable gravité, seul sur un banc, dans la pénombre, j’ai fait l’expérience du vide de Dieu. Un face-à-face étrange avec un monde sans transcendance, sans paternité divine, sans perspective. Une humanité cambriolée à laquelle le souffle sacré aurait été enlevé. Un miroir abîmé qui m’a renvoyé notre condition d’homme à la figure. Un homme, rejeton du hasard, perfectible au point de renier Dieu, de refuser son incarnation, de livrer un homme à la vindicte populaire, à la torture et aux crachats. Sans l'assurance qu’il était ou non le Fils de Dieu.

D’habitude, une lumière rouge marque une présence. Celle du Saint-Sacrement. Sans elle, je suis désemparé. "L’esprit reste dans ses réduits ; l’âme n’a plus sa piste d’envol" écrit Denis Tillinac dans son Dictionnaire amoureux du catholicisme. La lampe rouge est un "phare, une vigie, un refuge". Mais pas aujourd’hui. Un procès conduit à la va-vite a conclu à la mise à mort du "Roi des Juifs". Pourtant soucieux de ne pas condamner un innocent, Pilate a fait le mauvais choix. Et s’en est lavé les mains. D’une saleté qui ne part pas : le doute. Une occasion manquée de conversion ? Sur le Champ de Mars, j’étais pourtant au soleil, réchauffé par ses rayons. Mais ici, dans cette église en deuil, j’ai froid. Le rideau du temple s’est déchiré. "Mon âme est triste à en mourir" a dit Jésus, au Jardin des Oliviers. Cela doit être ça.

Soudain, la grâce. Le prêtre qui avait animé le chemin de Croix entre par une porte de côté. Il rapporte le matériel : une grande croix et 14 plus petites, une pour chaque station marquée au pied de la Tour Eiffel. Il me sourit, s’étonne de ma présence, me rassure. Le Christ s’est absenté. Malgré ce retour à l’envoyeur, il reviendra. Différemment et pour de bon. C’est le cœur du credo : il ressuscita le 3e jour. D’ailleurs, si je compte bien, ça tombe le lundi et non dimanche. Peu importe. On ne va pas chipoter sur le calendrier. D’autant qu’on perd une heure de sommeil.

Le samedi, c’est l’attente. La presque fin du calvaire. Pour les chrétiens de nos jours. Parce qu’à l’époque, personne ne l’attendait. Pas même ses disciples. La preuve : ils ne l’ont même pas reconnu lorsqu’il était au milieu d’eux. Pour les enfants, il y a les cloches et les œufs en chocolat. Pâques ne serait rien sans sa crise de foie. Et de foi. Car la Croix est une absurdité. A l’office de la Passion, les fidèles en procession viennent y déposer un baiser, certains sur le visage du Christ, d’autres à ses pieds, comme au Jeudi Saint, après le lavement, signe d’humilité et de service. Quel scandale que d’embrasser l’instrument d’un supplice ! Un symbole de mort. Une porte. Oui mais celle du Paradis.

Au cœur d’une actualité morose, portée par une politique sans vision ni lucidité, la célébration de la Semaine Sainte est bien plus qu’une commémoration. C’est une manière de théâtraliser le monde, de faire l’expérience de notre petitesse, de notre dépendance à l’amour, de notre impossibilité à vivre sans espérance. En posant des gestes sans précédent, le pape François a bien compris qu’il fallait raviver la ferveur des croyants. Donner un cap : "répondre au mal par le bien". Pour rétablir notre dignité. Car si le Christ n'était pas mort et ressuscité, tout cela n'aurait aucun sens. Allô, non mais allô quoi, t'es Dieu et t'as pas vaincu la mort ? Et bien si. C’est en substance ce que nous dit Saint-Paul. En substance.