La machine à s’indigner montrerait-elle des signes de
fatigue ? Malgré la tension quasi dramaturgique
qui agite jour et nuit les rangs clairsemés du Palais Bourbon, la stratégie du
gouvernement repose désormais sur le pourrissement de l’opposition au projet de
loi sur le mariage homosexuel. Or, sourd à la pression de la rue et aux
avertissements des experts, François Hollande a sa part de responsabilité. Pire,
d’instigation. En bon marionnettiste, il a parfaitement compris que le temps joue
en sa faveur et au bénéfice de son image d’homme à poigne.
Mais le président "normal" est un homme de contradictions. Chaque jour, il cède un peu plus de terrain sur ses promesses de
campagne ô combien symboliques : la taxe à 75%, la guerre contre la finance, le droit de vote des étrangers aux élections locales. Des marqueurs
idéologiques qui sonnent aujourd’hui comme des simulacres de conviction. Mais
sur un projet de société qui est loin de faire l’unanimité, il résiste.
Pourquoi ? Ne serait-il pas lui-même la marionnette des corporatistes de
l’ombre qui ont adoubé son élection contre le candidat sortant ? Le
mariage pour tous est aujourd’hui le chiffon rouge de la démocratie, agité au nez des Français.
Affaiblie par sa crise interne, la droite se focalise
sur un seul combat, un seul ennemi à abattre. Une
tactique du sanglier peu payante car le blocage n’est pas non plus le remède au
passage en force. Quant aux antis, ils
cherchent un nouveau souffle. Guidée
par sa madone Frigide Barjot, une partie de la mobilisation visible qui avait
occupé le Champ-de-Mars le 13 janvier a renoué avec l’indignation souterraine. "A
quoi bon ?" se demandent certains. En effet, il est décevant pour des
citoyens qui ne défilent jamais de constater que l’outil préféré des syndicats
ne fonctionne pas quand la gauche est au pouvoir. Est-ce la tournure du débat
que nous souhaitons pour la France et ses arrière-petits-enfants ?
Comment un projet de loi est-il devenu le scénario d’un
vaudeville que les médias désamorcent chaque jour un peu plus par un traitement
minimaliste et caricatural ? Les commentateurs pérorent
davantage sur un fou rire, un accrochage verbal ou une partie de scrabble que sur
les articles de loi votés en toute discrétion les uns après les autres (nous sommes au 4e ; il en reste
dix et 1600 amendements à examiner), tels les verrous d’un coffre-fort ouverts
dans une séquence logique pour atteindre le Graal de la lutte des classes :
l’égalité des droits. Y compris le droit de divorcer, brandi dans les manifs comme le négatif du droit au mariage. Absurde. En cherchant à détourner l’attention de l'opinion publique sur des artifices de communication ou des failles juridiques, les députés se
sont révélés plus habiles magiciens ou toréadors que législateurs. Où tout
cela va-t-il nous conduire : à un gage de modernité ou bien un nouveau
choc des cultures et des générations dont les hématomes mettront du temps à apparaître ?
Pourtant les positions défavorables se multiplient. Le Conseil d’Etat, prudent, a rendu un avis consultatif qui met en
garde sur les dangers de la PMA en matière de filiation. Les sages du
Palais-Royal regrettent la précipitation avec laquelle le gouvernement s’est
engagé dans ce projet et les "lacunes" de l’étude d’impact censée
mesurer les conséquences financières, sociales et internationales de la loi. En
outre, avant même qu’il soit connu, Najat Vallaud-Belkacem s’est empressée de
minimiser l’avis du comité d’éthique qui "ne contraint aucunement le
gouvernement". Faut-il alors parler de verdicts mort-nés ? La
Grande-Bretagne ne s’est pas donné cette peine de réfléchir. Elle préfère se
poser la question de son avenir dans l’Europe. A chaque pays ses
préoccupations. Mais existe-il une conscience universelle qui dépasse les
frontières ?
Maltraiter la bioéthique, faire fi des recommandations,
rester droit dans ses bottes. La majorité ressoudée
joue la guerre des nerfs. Dans les sondages, elle gagne en sympathie ce qu’elle
perd en honnêteté intellectuelle. C’est tout ce qui l’importe. Pendant ce
temps, la détresse sociale s’amplifie. La France joue son industrie au
Monopoly. Et les prévisions économiques revues à la baisse noircissent le
tableau de la croissance. Si L’origine du monde, le tableau de
Courbet, s’est trouvé un visage. La fin d’un monde pourrait bientôt trouver le
sien.