Avons-nous des raisons d’être pessimistes ? Les Français sont les champions du monde de la sinistrose. Et même si nous consommons désormais moins de médicaments que les britanniques, les anxiolytiques restent plébiscités. Angoissés, nous ? C’est la question posée aux invités du dernier débat Générations d’idées sur le moral et l’optimisme, organisé par Tendances Institut à la Tour Montparnasse. Autour de la table : le politologue Stéphane Rozès, le philosophe François L’Yvonnet, le communiquant Bruno Fuchs et le chroniqueur David Abiker. Un échange de haute voltige pour tomber d’accord sur les clefs de la bonne humeur : cohérence, résilience et reconnaissance.
Construire un imaginaire
Selon Stéphane Rozès, enseignant à Sciences Po, l’optimisme est le fruit d’une cohérence entre des aspirations personnelles et un projet de société, nourri par un imaginaire collectif. Sans cet imaginaire en conformité avec notre identité culturelle, nous serions incapables de nous projeter dans l’avenir, ni de nous réaliser pleinement. Or, si le rôle du politique est d’incarner ce modèle et de nous donner les moyens d’accomplir nos ambitions, alors nos dirigeants ont failli, se trompant d’imaginaire. En effet, les décideurs ont préféré puiser à la source du modèle anglo-saxon, pétri de libéralisme et de consumérisme. Ils ont érigé les banques et les marchés financiers en baromètres de notre performance, au risque de sombrer dans l’appât du gain. Ainsi, le pessimisme se propage en France au rythme de frustrations. Nos fors intérieurs sont entrés en dissonance avec l’intérêt collectif. Trois décennies après Roger Gicquel, la France a toujours peur.
Du coup, l’opinion publique connectée sur la toile pleure son malheur et son indignation. Témoin de ces cris d’alarme, David Abiker tente de disséquer les raisons de la colère. D’après lui, plus les gens écrivent, plus ils dénoncent. Et plus ils critiquent, plus ils font d’audience. L’insatisfaction est un cercle vicieux. Pourquoi les commentaires sur les réseaux sociaux, temples virtuels du "vivre ensemble", sont-ils toujours fait pour nuire et non pour honorer ? Car le pessimiste donne, par l’ironie, l’illusion d’apporter des réponses alors que l’optimiste, tel le philosophe en quête de vérité, ne fait que poser des questions. Victoire de la suffisance sur l’humilité de l’esprit. Voilà pourquoi, plutôt que de leur admettre une fonction vertueuse, les écorchés vifs de l’intellectualisme bo-bo préfèrent diaboliser les mythes populaires – de Michel Drucker à Amélie Poulain –, en les taxant de populistes, soi-disant parce qu’ils dépeignent une image trop rurale ou angélique de notre société. Et si l’imaginaire de la France prenait racine dans nos campagnes ? Le premier pas vers l’optimisme, c’est la décentralisation.
Avoir une vision
Le second pas, c’est de porter en priorité un regard sur ce qui marche. D’après une étude mentionnée par Bruno Fuchs, président de l’agence Image & Stratégie, 70% des créateurs d’entreprises sont optimistes sur l’avenir de leur société alors qu’ils ne sont plus que 35% sur celui de l’économie en général. L’humeur des dirigeants dépend de la proximité qu’ils ont avec le terrain. Plus ils se sentent proches de leurs préoccupations, plus ils ont confiance. C’est pourquoi, après celui des politiques, voici le poids des médias. Pourquoi aux élections présidentielles le FN a-t-il réalisé des scores aussi élevés dans des communes qui ne sont pourtant pas frappées par les thèmes du parti frontiste ? Sans doute parce les journaux télévisés ont propagé les mauvaises nouvelles faisant de nos régions des territoires concernés... par ricochet !
La France manque-t-elle à ce point de sources de bonheur pour se focaliser autant sur des idées noires ? Professeur de philosophie et auteur d’un petit livre bien inspiré sur L’intégrisme de la rigolade (qui lui a valu une empoignade cathodique avec Stéphane Guillon), François L’Yvonnet déplore l’absence d’événements structurants qui nourriraient le débat sur l’optimisme et le pessimiste. A l’instar du tremblement de terre de 1755 à Lisbonne qui, par sa violence de destruction, aurait conduit à la naissance de la sismologie et à de nouvelles réflexions philosophiques sur le sens du mal et de l’injustice. En la matière, les tragédies à grande échelle, guerres ou catastrophes naturelles, nous ont souvent renvoyé à nos croyances et ébranlé nos convictions. En période de crise et d’inégalités croissantes, il serait temps de nous poser la question de la résilience. Car l’homme qui ne croit plus en sa capacité à reconstruire sur des ruines n’a plus accès au bonheur, ni à la vérité.
Jouer collectif
Enfin, vaut-il mieux être triste à plusieurs ou heureux tout seul ? L’homme est altruiste. La solitude le rend pessimiste. L’optimisme se construit alors en groupe. D’où un fort besoin de reconnaissance, tel l’acteur qui, en scène, se nourrit des réactions du public pour se sentir considéré. Sinon, il désespère. David Abiker cite Balzac : « La joie ne peut éclater que parmi des gens qui se sentent égaux ». Frétillement dans l’assistance. Où se sentir vraiment égaux ? D’après Stéphane Rozès, les individus recherchent la sécurité morale lorsqu’ils sont victimes de précarité économique et sociale. Ainsi, quoi de mieux que le suffrage universel pour redonner un sentiment d’appartenance et de fierté à ceux qui doutent de tout ? D’où le succès des récentes élections, en France comme dans les pays arabes, où les citoyens se sont enfin posés, ensemble, la question du rôle de chacun et de tous dans la société.
Ce qui manque aujourd’hui en France, c’est un porte-drapeau. Une opportunité de fédérer les appétits individuels autour d’une cause commune, comme une victoire sportive par exemple. Or, le "vivre ensemble" passera-t-il par des échanges désincarnés sur des réseaux sociaux ? Je ne le crois pas. Le nouveau lien social ne sera pas non plus décrété par une conférence gouvernementale. Pourrait-il émerger de la rue, au petit bonheur la chance, à l’image de l’opération "Play me, I’m yours" qui a tenu concert à Paris du 22 juin au 8 juillet ? Le concept : 40 pianos libres d’accès étaient répartis aux quatre coins de la capitale pour inviter les passants à tâter du clavier. Très vite, les groupes se sont formés. Des visages se sont illuminés. La musique, un instrument et du talent, nouveaux totems pour une tribu morose ?
Heureusement, les vacances sont là pour cacher la poussière sous le tapis. Ou l’occasion de faire le grand ménage ? Pourvu que la météo soit au rendez-vous...