mardi 24 juillet 2012

Grâce

Grâce, Delphine Bertholon, éditions JC Lattès
Grâce, c’est une histoire de disgrâces.

Disgrâce d’une maison. Une propriété de famille dans la campagne beaujolaise où Grâce réunit ses enfants et petits-enfants, à Noël. Un souvenir de l’auteur, Delphine Bertholon. Sauf que, contrairement à la douceur du foyer de l’écrivain, la maison de ses personnages est hantée. Des phénomènes étranges se succèdent : des boulets de charbon lancés dans la fenêtre des enfants et aucune trace extérieure dans la neige, un couteau planté au plafond d’une chambre, un chauffe-eau qui explose,… Personne ne semble croire au surnaturel, sauf Grâce. Il faut dire que la maison a un lourd passé. Une sombre histoire d’amour et de trahison pendant l’occupation. Le prix du sang ? Possible. Car les maisons ont une mémoire. Et les huis-clos, comme les malédictions, empêchent le temps de soigner les blessures.

Disgrâce d’une famille cabossée. Passionnée de cinéma fantastique, en particulier asiatique, Delphine Bertholon avait envie d’écrire une histoire de maison hantée, "un décor parfait pour une famille dysfonctionnelle". Pour elle, les "lieux peuvent être vécus comme des projections de l’inconscient". Or, la demeure cristallise des années de crise : la fuite d’un père adultère, la mort d’une femme en couches et autres terribles secrets bien enfouis qu’un grain de sable va exhumer. L’excellence de ce polar fantastique tient à la virtuosité narrative de l’auteur. L’intrigue se partage entre un journal intime écrit par Grâce en 1981, "année riche en évènements d’actualité qui entrent en résonnance avec la vie intérieure de l’héroïne", et le récit de son fils Nathan, 30 ans plus tard. Au fil des chapitres, le lecteur reconstruit un ingénieux puzzle hitchcockien, dans une ambiance funèbre digne d’Edgar Allan Poe.

Disgrâce de l’âme humaine. Dans Grâce, l’odeur du crime empeste comme un poison. Mais tel n’est pas le ressort principal du récit. Toute l’habileté de l’auteur est de nous révéler les mécanismes psychologiques qui font rouiller le verrou moral jusqu’au drame passionnel ? Et puis surtout, comment taire l’horreur sans laisser transparaître le remord ? D’où la prééminence du thème du double. A l’instar du portrait de Dorian Gray qui vieillit à la place de son modèle, chaque personnage est confronté à son "moi" machiavélique que des événements imprévus vont déchaîner. Hors des cauchemars et de l’au-delà. Car, dans Grâce, la vérité ne vient pas de ce monde…