jeudi 1 mars 2012

Péchés mortels

Quel est l'art dans lequel les hommes politiques excellent le mieux ? Celui du mea culpa. Alors que la campagne bat son plein, les candidats, petits et grands, et les non-candidats, porteurs de "bombes atomiques" désamorcées, font le ménage dans leurs convictions pour rallier leurs champions historiques. Avant le déluge, les animaux embarquent deux par deux dans l'arche de Noé afin de préserver leur espèce : Christine Boutin et Hervé Morin, Frédéric Nihous et Jean-Louis Borloo. Et, tout récemment, Rama Yade qui fait du genou sous la table.
Sur Public Sénat, Dominique de Villepin était mercredi soir l'invité de l'émission Déshabillons-les. Le candidat à la présidentielle, descendu de son "croc de boucher", a qualifié ses rapports avec Nicolas Sarkozy de "relation de confiance", renouant avec les belles heures de l'entente cordiale. L'orage Clearstream n'aura pas eu raison de la réconciliation. La politique est ainsi. Napoléon pardonne à Marmont.
Tels des fils prodigues, les politiques reviennent sur leur trahison pour solliciter la mansuétude du père. Or, s'ils recherchent l'absolution des Français, ces derniers sont toujours enclins à leur donner. Car en politique, l'Histoire n'a pas de mémoire. Le temps purge les vieilles rancoeurs pour ne garder que les bons souvenirs.

Cependant, malgré ses exercices d'équilibriste entre la France des pauvres et celle des riches, le président sortant aura du mal à faire oublier, avant le Fouquet's ou le Paloma, les deux erreurs impardonnables de son quinquennat : la nomination manquée de son fils Jean à la présidence de l'EPAD et le "casse toi, pauv'con !" du Salon de l'Agriculture en 2008. Des fautes que le suffrage universel pourrait lui faire payer. Car d'après les sondages, les électeurs ne voteront pas pour un programme-bilan mais pour une moralisation de la vie publique.
Pourquoi ces péchés mortels sont-ils des épines plantées dans les pieds du marathonien ? Parce qu'ils trahissent deux faiblesses du sarkozysme : le népotisme et la gesticulation.
L'esprit de cour a toujours eu lieu à l’Élysée. C'est inévitable. Car le président élu n'en reste pas moins l'ami d'avant qui a des dettes et le bras long, le pouvoir étant une arme redoutable pour jouer du piston. Or, la fonction exige une prise de distance avec les réflexes de réseau et de favoritisme. Il ne doit jamais privilégier son intérêt personnel ou celui de ses proches au détriment du bien commun. Nicolas Sarkozy l'a plusieurs fois oublié. Et, dans un contexte d'hyper-information, les Français ne sont plus dupes. La première erreur de Sarkozy est d'en avoir douté.
La seconde, c'est de se croire à l'abri de tout média alors qu'il a lui-même orchestré la théâtralisation de sa gouvernance. En visite au Salon de l'Agriculture, poumon électoral de la société française, le président se prend pour un anonyme impétueux au milieu de la foule, un "Français moyen". A une personne hostile, refusant une poignée de main, le chef de l'Etat réplique par un "eh ben alors casse-toi, pauv'con !". Au cinéma, la scène aurait fait sourire : "Mais il connait pas Raoul ce mec. Il va avoir un réveil pénible. J'ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter que le sang coule, mais maintenant c'est fini. Je vais le travailler en férocité, le faire marcher à coup de lattes ! A ma pogne, j'veux le voir ! Et j'vous promets qu'il demandera pardon ! Et au garde à vous !" Oui mais voilà, Sarkozy n'est pas Volfoni. Le bourre-pif verbal a déclenché une vive polémique dont la communication présidentielle porte encore les stigmates. A cette répartie mal placée, on peut opposer le fameux geste de Claude Chirac à son père, lui intimant l'ordre de rester bouche cousue. Un symbole à méditer.

Locataire du Palais, le président n'est donc plus un citoyen "normal", pas plus qu'il ne sera un "président normal". Il est l'apôtre de l'exemplarité, dans tous les champs de sa compétence. Un chef d'orchestre qui doit trouver l'harmonie au sein de la cacophonie. Comment ? Dans un entretien accordé à l'Express, Riccardo Muti, directeur musical de l'Orchestre symphonique de Chicago, confiait son secret : "Ma règle est de faire le moins de gestes possible. Moins on en fait, plus les orchestres sont tenus. L’œil a davantage d'importance. D'un seul regard, on peut encourager un musicien. Ou le décourager, d'ailleurs. Donner un concert, ce n'est pas comme au Moulin-Rouge : il ne faut pas chercher à distraire le public. De nos jours, on constate malheureusement une tendance à surdiriger. Parce que nous vivons désormais dans une civilisation de l'image, le public d'aujourd'hui est plus intéressé par ce qu'il voit que par ce qu'il entend. Trop de chefs sautent sur le podium et font la grimace. Sans aucune nécessité, évidemment."