Malgré sa dangerosité, le geste a quelque chose de théâtral. En meeting à Paris, le candidat François Hollande a été enfariné sur scène, tel un personnage de Molière. Aussi spectaculaire soit-elle, l'agression souligne autant les failles du service d'ordre que le prestige dont profite désormais la cible. Hollande est "entartable" comme un acteur est "bankable". Mais, après le Bourget, il passe directement au vaudeville. Finie la crème, place au saupoudrage ! Quel rôle va-t-il jouer après cet incident de scène ? Le bourgeois gentilhomme ou le malade imaginaire ? Sarkozy, quant à lui, est monté sur les planches. Sous les dorures de l'Elysée et l'oeil des caméras de télévision. Pour faire le boulot lui-même, après le K.O. de son ministre des Affaires Etrangères. Car le "meilleur d'entre nous" n'est pas parvenu à désarçonner le candidat socialiste sur le plateau de France 2. Tout juste le déstabiliser par une mise en garde : le favori de janvier n'a jamais été l'élu de mai. On aurait dit une malédiction templière lancée sur le bûcher. Sans oublier Eva Joly qui, tout comme 007 dans l’Homme au pistolet d’or, a reçu une balle de revolver par courrier. Sinistre campagne.
La course à l'Elysée se pare donc de petites phrases et de symboles forts. Au-delà des programmes, parfois d'une technicité déconcertante, c'est sans doute cela que retiendront les Français au moment du choix. Une impression d’ensemble. Le suffrage universel est une politique d'image, une mythologie qui fait sortir tôt ou tard un deus ex machina de sa boîte, telle la statue du Commandeur. Car, au pays de Descartes, on croit encore à l'alchimie, au rêve, à l'irrationnel. Même s'ils y sont sensibles, les mesures concrètes pour lutter contre la crise importent moins aux électeurs que les professions de foi des candidats.
Or, quelle vertu cardinale va l'emporter cette fois ? L'arrogance, le courage ou l'authenticité ? Les Français sont méfiants. C'est pourquoi les sondages ne valent plus grand-chose. Ils expriment une température, un contexte, alimentés par les médias. Pas une tendance de fond. La météo d'hiver prouve bien qu'on peut passer de la douceur au grand froid, sans crier gare. La campagne reste imprévisible puisqu'elle s'appuie sur des humeurs et non des idéologies. "Plaudite, acta est fabula !" aurait dit l'Empereur Auguste, sur son lit de mort ! "Applaudissez, la pièce est finie !" En est-on si sûr ? Personne ne doit parler ou se comporter comme si les dés étaient jetés. Or, à droite, on s'agite. Certains hauts fonctionnaires ont déjà préparé leurs cartons. Mais la crise financière aurait dû leur apprendre les risques de la spéculation : c'est en redoutant la faillite qu'on la provoque.
L'autre leçon de la crise : c'est dans la faiblesse que l'on trouve l'authenticité d'un homme. Figure littéraire revisitée au goût du jour, Sherlock Holmes, le champion de la logique, du sens de l'observation et de la suffisance égocentrique, cartonne au cinéma et à la télévision. Sa personnalité fascine. Pourquoi nous est-il si attachant alors qu'il agace par la supériorité de son esprit et son manque d'humilité ? Parce que même un cerveau aussi brillant et têtu que lui peut parfois faire preuve d'émotion, de fragilité. Abaisser sa garde, l'espace d'un instant, pour troubler son auditoire, être déstabilisé, laisser entrevoir la vérité derrière les apparences. Le vainqueur de l'élection présidentielle sera celui ou celle qui aura fait de son talon d'Achille une force. Et non l'inverse.