mercredi 28 décembre 2011

La trêve des confiseurs

Noël est fini. On remballe les cadeaux. Et vivement le réveillon du 31, qu’on picole encore un coup ! Noël est-t-il encore magique ? Pour les enfants, cela ne fait aucun doute. A côté du petit Jésus dans sa crèche, les jouets au pied de l’arbre ont fait des heureux. Mais aussi des victimes. Certaines dans la surabondance, d’autres dans la frustration. Chaque année, c’est l’éternel dilemme : Noël est-il une fête joyeuse, illuminée par sa portée chrétienne, ou le catalyseur des inégalités et des excès ? Et si, à Noël, le vrai cadeau, c’était la crèche ?
Dans la perspective de Noël, les illuminations envahissent les rues et les grands magasins font le plein. Pour de nombreux professionnels de la publicité et de la grande distribution, Noël est avant tout une opportunité commerciale à ne manquer sous aucun prétexte. Première source d’énervement : la course à la consommation. C'est la transhumance dans les boutiques. La recherche du cadeau miracle fait le miel des psychanalystes : que disons-nous de nous et de notre relation aux autres dans les cadeaux que nous offrons ? Travail forcé ou quête de sens ? Le cadeau rendu obligatoire est souvent dépourvu de message caché. Mais il crée du débat, de l’échange, de la socialisation.
La nuit de Noël, l’excitation remplace la suractivité. C’est le temps du grand déballage familial. Dans un geste frénétique, on arrache les papiers qui ont été si difficiles à scotcher. Soumis au regard des autres qui attendent une réaction, l’œil brille pour ne pas se trahir. Combien de cadeaux sont-ils encore des surprises depuis que la liste au Père Noël existe ? Toutes les méthodes sont bonnes pour raccourcir ce rituel de l’ouverture : tous en même temps, l’un après l’autre, les enfants d’abord ? Rien n’y fait : on passe toujours à table après dix heures.
Le lendemain de Noël, les médias s’emparent d’un phénomène de société : la revente des cadeaux sur internet. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, des pics de connexion témoignent d’une frénésie de brocante virtuelle. On revend le vieux dico de latin offert par la tatie Josette pour s’offrir une PS3. Si les cadeaux étaient moins technologiques et interchangeables, nous seraient-ils plus attachants ? Cette année, on a assisté au retour en force des cadeaux recyclés, les vieux jouets du grenier confiés aux enfants comme des reliques sacrées. Le respect d’un héritage. Bonne idée.
Avant, pendant et après Noël, les cadeaux font ainsi polémique. Et si, l’année prochaine, il n’y avait pas de cadeau à Noël. Mais tout au long de l’année, comme les cailloux du Petit Poucet sur le chemin de la fête. Sans raison. Aujourd’hui, on ouvre bien du champagne sans faire d’annonce. Que mes proches se rassurent : mes cadeaux et ceux de mes filles ont été enchanteurs. Parce qu’on pouvait y lire l’empathie, l’envie de faire plaisir, la preuve d’intelligence et de malice qui caractérisent ceux qui se connaissent. Mais aussi, la présence du sacré, l’exigence de vérité, l’esprit de la crèche. A Noël, pour les chrétiens, le premier cadeau, c’est un nouveau-né. Quel beau cadeau fait aux croyants !
Cette année, la crèche a été fortement plébiscitée, notamment sur les marchés de Noël, y compris celui des Champs-Elysées, de souche laïque. Et aussi fortement commentée dans les journaux. Parce qu’on peut y lire la représentation de toute l’humanité, à la fois sociale et religieuse. De la mangeoire de l’étable à la fontaine du village, du bébé au vieillard, toutes les conditions sociales sont rassemblées et orientées vers la candeur d’une naissance. En ce temps de crise, où les identités sont troublées, la crèche reste un repère, une invitation à l’essentiel, un miroir sur nos âmes. Avec mes filles, je m’amuse à avancer les moutons qui portent leur nom et les rois mages guidés par l’étoile, à déplacer les personnages pour leur donner vie, à cacher le petit chat. Une crèche réussie, c’est l’œuvre de toute une vie qui s’anime et s’enrichit d’année en année d’un santon ou d’un décor. Un précieux sésame à transmettre.
Et puis, comment la magie de Noël opère-t-elle après le 25 décembre, alors qu’il n’y a plus d’argent dans le portefeuille ni d’étoiles dans les yeux, que les poubelles de cartons et coquilles d’huîtres ont été vidées et le sapin descendu tout nu sur le trottoir ? Il reste les souvenirs des petits gestes et les sourires sincères, devant la crèche. La bougie qu’on allume et qu’on souffle. Puis qu’on rallume. Car c’est peut-être ça le secret de Noël : faire de notre vie une crèche grandeur nature où chaque histoire nous renvoie à l’enfance. Et à l’espérance.