Dans son édito de l’Express du 14 décembre 2011 titré "Les grotesques de la présidentielle", Christophe Barbier dénonce la vanité des "petits" candidats qui se présentent à la présidentielle sans aucune chance de l’emporter. D’après son analyse, cette démarche citoyenne, bien que louable sur le plan de la démocratie, risque au contraire de dévaloriser le sens de l’élection, faute de motivations saines qui dépassent le stade de la revanche politique. Autre argument discutable : pas de besoin d’être candidat pour peser dans le débat, selon le journaliste. Et de citer Hervé Morin, Jean-Pierre Chevènement, Dominique de Villepin ou d’évoquer, sans les nommer, Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière), Philippe Poutou (NPA), Corinne Lepage (candidate écologiste), Frédéric Nihous (CPNT) et Christine Boutin (Parti chrétien-démocrate). Je ne suis pas tout à fait d’accord.
Certes le suffrage universel n’est pas « le pitoyable bac à sable où s’ébrouent les ego ». Or, certains candidats auraient recours à cette arène médiatique pour régler leurs comptes. J’en conviens. Mais, en politique, les idées étant rarement biodégradables, il vaut mieux les porter soi-même que les confier aux grands tribuns dont l’ambition personnelle éclipse parfois l’intérêt général. Les programmes électoraux, du PS à l’UMP, ignorent souvent le sens du détail. Seuls les grands chantiers sont plébiscités. Car la gouvernance de la France repose sur le meilleur compromis, à la fois démagogique et conjoncturel. Jamais sur la satisfaction du client.
En avril 2012, de nombreux candidats seront laminés au premier tour, réalisant les scores anecdotiques que leur prévoient les sondages. Faut-il pour autant les écarter de la course à l’Elysée ? A la lecture du billet de Christophe Barbier, un conte pour enfant m’est venu en tête : La chèvre de Monsieur Seguin. Dans cette nouvelle d’Alphonse Daudet, bien connue de nos chères têtes blondes et passée en boucle sur la route des vacances, Blanquette, la septième chèvre de Monsieur Seguin, s’évade de son étable où son maître la retient prisonnière. Car, dans la montagne, le loup rôde. Mais il oublie de fermer la fenêtre. Ivre de liberté, Blanquette batifole dans la nature jusqu’à rencontrer son prédateur qui, au terme d’une lutte acharnée, la dévore au petit matin. Comme toutes les autres. Une fatalité chère payée.
Pourquoi cette chèvre, pourtant bien avertie par son maître sur les dangers de la montagne, s’est-elle échappée ? Mais surtout, pourquoi, malgré les appels désespérés de Monsieur Seguin, va-t-elle finalement choisir de rester la proie du loup ? Dans ce conte moralisateur, le narrateur donne la clef : pour cette chèvre qui a goûté à la liberté, il n’est plus possible de revenir en arrière, malgré le prix à payer. Ces "petits" candidats ne seraient-ils pas, à l’image de la chèvre de Monsieur Seguin, des leaders politiques dont la trajectoire est, par essence, d'aller de l'avant en se frottant au choix carnassier du peuple, comme un acteur aux planches ? Leur participation ne me paraît pas nuisible si on se place du côté de la neutralité démocratique. En revanche, elle est néfaste pour qui défend son champion dont les voix sont comptées. Que gagnent-ils à être libres ? Et nous ?
Témoin de la représentativité nationale, le premier tour d’une élection est une histoire de singularités. Le peintre Eugène Delacroix disait : « j’ai beau chercher la vérité dans les masses, je ne la trouve que dans les individus » Je pense qu’il faut apprendre à se méfier du magnétisme des partis. La vitalité intellectuelle et morale s’appuie sur le parcours personnel d’hommes et de femmes de conviction et non sur des chefs de clan qui enflent comme la grenouille de La Fontaine. Faisons comme si tout ne se décidait pas à Paris mais que la France entière se cherchait des porte-parole, à défaut de souffre-douleurs. Il faut rafraîchir l’air de la campagne.
Quant à moi, j’ai fait un rêve. Celui de voir émerger un candidat inattendu, un contrepoids à la chute de DSK. Imaginez un président sortant qui, en tant que nouveau père, décide de se consacrer à sa famille, de désamorcer son impopularité par un baroud d’honneur, et de laisser la place au "meilleur d’entre nous". La politique est encore plus forte quand le citoyen est confronté à l’imprévisible.