vendredi 9 septembre 2011

Post-it mental

"Nine eleven", la date est devenue la marque de fabrique d’un acte de destruction massive. Dix ans après, le souvenir de cette journée reste intact. Aussi, quand repassent les puissantes images des attentats du 11 septembre 2001, vécus en direct par des millions de gens, cette question s’impose, façon interrogatoire musclé : "où étiez-vous ce jour-là ?". Car chacun se souvient précisément de ce qu’il faisait quand les médias du monde entier ont interrompu leurs programmes pour décrire des évènements sans précédent. Étonnant quand on sait qu’il faut du temps pour se rappeler de l’avant-veille. Alors pourquoi ?

Par sa nature soudaine et violente, le 11 septembre agit sur nous comme un post-it mental. Nous avons collé nos activités du jour, bouleversées pour l’occasion, à des images foudroyantes : des vies qui s’arrêtent net, les attaques sans fin contre des symboles du pouvoir américain, les témoignages affolés, une montée en puissance de la gravité. Et pourtant, des clichés de guerre, de morts, de populations décimées par la faim, l’homme occidental y est confronté chaque jour. Mais l’impact est moindre. Sans doute parce que la redondance conduit à la banalisation. Le journal quotidien, fruit du différé, en minimise la portée. Loin des yeux, loin du cœur. Telle est la cruelle logique du "mort-kilomètre" : le lecteur n’est touché que par l’actualité qui le frôle. En outre, la fiction dépasse aujourd’hui la réalité. Le cinéma ou les séries télé créent du divertissement avec l’horreur comme matière première. Déjà-vu !

Or, c’est du jamais-vu qui a heurté notre inconscient collectif, ce jour-là, plongeant les Etats-Unis puis le monde entier dans l’impuissance. Les terroristes ont réussi leur coup de pub. En focalisant l’attention des médias sur des actes concentrés géographiquement (la côte Est-américaine) mais d’une extrême densité, ils sont parvenus à délivrer un message-fort : l’Amérique, et l’Occident dans son ensemble, ne sont pas invulnérables, malgré leur arrogance. Par des moyens relativement simples, il a été possible de gripper durablement la mécanique politique, économique et morale de la planète. Et peu importe la guerre en Irak, les troupes en Afghanistan, la mort de Ben Laden. Les ripostes ne laveront jamais la mémoire meurtrie des peuples.

Par contre, les assassins n’auront jamais le dernier mot contre la capacité de résilience de l’humanité face à son histoire. Sachons prendre de la distance, faire le deuil d’une certaine forme de terrorisme. La menace reste latente. Mais c’est trop d’honneur accordé à l’ennemi que le spectacle de notre affliction et de notre inquiétude. Chaque fois que les avions heurtent les tours, en vitesse réelle ou au ralenti, des diables s’en amusent. D’ailleurs, comment la théorie du complot, selon laquelle les services secrets américains auraient organisé leur propre agression pour justifier l’interventionnisme en terre arabe, pourrait-elle laisser les terroristes indifférents si c’était vrai ? Ils lui auraient déjà donné crédit pour faire feu sur l’administration Bush avec ses propres armes. Qu’ils se rassurent, ils sont bien les auteurs de ces crimes. Et la facture leur sera adressée, tôt ou tard.