jeudi 28 juillet 2011

A la recherche du temps perdu

Campagne de communication Association France Alzheimer (Saatchi & Saatchi)
Au lycée, mon professeur d'économie, à l'humour provocateur, avait coutume de dire : "Les antisèches, vous pouvez en faire mais pas les utiliser". Réaction immédiate du comique de service : "Bah M'sieur, à quoi ça sert alors ?" Des années plus tard, j'ai compris que faire des antisèches, c'est déjà apprendre son cours par l’exercice pointu de la synthèse. Car, pour condenser un cours d'économie ou de mathématiques sur l'emballage d'une gomme ou le fond d’une trousse, il faut être un champion du résumé. Plus besoin de tricher après avoir fait ses antisèches. Le cours est non seulement appris mais aussi compris. Car le propre de l'antisèche, c'est d'éviter le par-cœur pour privilégier la compréhension, la recherche de sens. Sinon, comment concentrer l'essentiel d'une idée en quelques mots ?

Quand la mémoire nous joue des tours, il existe les moyens mnémotechniques où, par association d'idées, on peut retenir les fondamentaux. Pour se souvenir, dans l'ordre, des différents stades de la prophase, première étape de la division cellulaire chez les êtres vivants eucaryotes, les biologistes étourdis doivent savoir que "Le Zizi du Pachyderme a des Dimensions Diaboliques". Plus facile que Leptotène, Zygotène, Pachytène, Diplotène, et Diacinèse ! Ou encore : si on vous demande quelles sont les sept merveilles du monde, répondez par un simple "Mostapha ! J'attends la copie !". En décortiquant, vous retrouvez le Mausolée d’Halicarnasse, la Statue de Zeus à Olympie, le Phare d’Alexandrie, les Jardins suspendus de Babylone, le Temple d'Artémis à Éphèse, le Colosse de Rhodes et les Pyramides d’Égypte. Enfantin. Enfin, presque.

Un "handicap invisible"
Pourtant, certains trous de mémoire, sans gravité chez l’élève tête-en-l'air, peuvent virer au cauchemar. Celui de la maladie d’Alzheimer contre laquelle les chercheurs ont déclaré la guerre. Une guerre à armes inégales, tellement l’ennemi semble intouchable. A l’occasion d’un récent colloque parisien qui a réuni 6 000 experts, le Journal du Dimanche a consacré un article poignant dans son édition du 17/07 sur une jeune femme de 42 ans, éleveuse de chiens de race, atteinte par cette maladie. "Un handicap invisible", selon ses mots, qui un jour ou l’autre prendra le dessus pour "l’envahir complètement". Car il s’agit bien d’une maladie insidieuse dont on peut ralentir la progression sans toutefois stopper le processus dégénératif. L’entourage familial multiplie alors les petits "trucs" pour pallier les troubles : des Post-it partout dans la maison, un carnet de notes, un portable avec l’agenda du jour,… Un drame quotidien vécu par des millions de gens dans le monde et dont le nombre pourrait doubler d’ici vingt ans. La peur de la maladie d’Alzheimer aurait même détrôné celle du cancer. Comment en effet rester insensible à l’idée que, à tout âge et pas seulement chez les plus de 75 ans, une vie entière peut s’effacer ?

La perte irréversible de mémoire, cette angoisse universelle, trouve alors sa catharsis à travers l’art, en particulier dans la littérature et au cinéma. Je me souviens de ce roman, Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, où le narrateur, un détective féru d’Agatha Christie et frappé par une maladie qui lui fait tout oublier d’un jour sur l’autre, enquête sur la disparition d’une femme, Emilie Brunet. Soupçonnant le mari, il tient un journal dans lequel il consigne chaque soir ses découvertes du jour. La conclusion est renversante. Ou encore ce film, Memento, où un homme ayant des troubles de mémoire suite à un traumatisme crânien part à la recherche du meurtrier sa femme. La particularité de ce thriller américain, réalisé par Christophe Nolan (Inception), est que les scènes sont montées dans un ordre antichronologique puisque le héros ne se souvient que des événements récents, le contraignant ainsi dans son enquête à remonter le temps. Le thème de la mémoire, un classique du suspense !

Une arme politique
C’est aussi une arme redoutable. En politique, par exemple. Dans leurs mémoires, les hommes et les femmes de pouvoir distribuent les récompenses ou assassinent les traîtres. Ils séparent le bon grain de l’ivraie, en consignant les faits et les gestes de la grande et de la petite histoire. De préférence, sans s’égratigner. Ainsi, dans son tome 2, Jaques Chirac offre une relecture de son temps présidentiel sous la plume de son confesseur, Jean-Luc Barré. En homme d’état, il s’efforce de prendre une hauteur de vue. Pour mieux fondre sur l’adversaire, tel le faucon. Décryptant les phénomènes qui ont marqué la vie politique française et internationale, il revient sur la dissolution de l’assemblée, un épisode de son premier septennat qui n’a pas manqué de faire couler beaucoup d’encre, en particulier sur le rôle joué par Dominique de Villepin dans cette fâcheuse aventure pour le parti en exercice. La manœuvre avait conduit à la victoire de la gauche aux législatives et à l’entrée de Lionel Jospin à Matignon. Dans son livre, l’ex-président relativise l’influence de son secrétaire général de l'Élysée dans la décision de dissoudre l’assemblée alors que les militants RPR de l’époque lui avaient vivement reproché d’en être le principal instigateur. La mémoire de Chirac offre-t-elle un retour en grâce à un candidat possible pour la présidentielle de 2012 ? Serait-ce une manœuvre de complicité de la part de l’ancien chef de l’état pour mieux contrer Nicolas Sarkozy qu’il fustige dans ces mêmes Mémoires ? Comme le sonotone de papy, la mémoire est parfois sélective. On retient de l’histoire ce qui nous arrange.

Mémoire d’éléphants
Ainsi, François Hollande, candidat à la primaire socialiste, a-t-il la mémoire courte lorsque son avenir électoral est en jeu ? Anne Mansouret, la mère de Tristane Banon qui accuse DSK d'avoir agressé sexuellement sa fille en 2003, affirme qu’il lui aurait affiché son soutien. Lui soutient le contraire. Qui dit vrai ? Certains perdent la mémoire, d’autres la retrouvent. Pourquoi diable Luc Ferry a-t-il relancé publiquement une vieille rumeur sur un ministre interpellé à Marrakech pour des faits de mœurs et dont les détails, relayés à mots couverts dans les médias, ont rapidement conduit Jack Lang à penser que c’est de lui qu’il s’agissait ? L’amnésie se nourrit à la même source funeste et malintentionnée que la calomnie. Ainsi, vaut-il mieux ne rien dire ou ne rien savoir ? Et Coluche de conclure dans l’un de ses sketches : "C’est pas compliqué, en politique, il suffit d’avoir une bonne conscience et, pour ça, il faut avoir une mauvaise mémoire !"

En juin dernier, des scientifiques français sont parvenus à améliorer la mémoire de souris amnésiques en leur greffant des cellules souches nasales humaines de l’odorat. Motivées par l’odeur associée à une récompense, elles auraient ainsi amélioré leur capacité à retrouver le chemin d’un objet. Cette découverte aurait des répercussions dans le traitement clinique de patients souffrant d’amnésie post-traumatique voire dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer.
Elle est peut-être là, la solution à nos problèmes de mémoire. Dans la madeleine de Proust.