lundi 2 mai 2011

Crimes à grande vitesse

Premier prix de lecteurs en France depuis sa création en 2000, le Prix SNCF du polar a été décerné le 26 avril dernier à bord de l’Orient-Express, ce train mythique immortalisé par Agatha Christie, que les visiteurs de la gare de l’Est ont pu découvrir sur la voie 28. En marge du prix littéraire, des animations étaient organisées en gare et à bord des trains. L’occasion de s’interroger sur la magie du rail comme théâtre des meilleures intrigues policières et d’espionnage.

C’est Agatha Christie qui, en 1934, a popularisé ce décor pour un meurtre parfait. Enfin, presque parfait puisque l’énigme n’a pas résisté aux petites cellules grises d’Hercule Poirot. L’idée du Crime de l’Orient-Express aurait été inspirée à la romancière anglaise par un incident mémorable. En 1929, le célèbre train, réputé pour sa ponctualité, est resté bloqué pendant plusieurs jours dans les neiges de la Thrace en Grèce, avec une température extérieure avoisinant les moins vingt cinq degrés. Un laps de temps suffisant pour qu’un meurtre soit fantasmé parmi des passagers coupés du monde…
L’Orient-Express est donc, dans l’imaginaire collectif, le lieu du crime par excellence. Un huis-clos aussi raffiné que machiavélique d’où l’assassin ne peut s’échapper. D’Hitchcock à James Bond, combien ce train a-t-il fait de légendes ? Combien de meurtriers ont profité des bruits du rail pour étouffer leurs crimes ? Mais avant d’être ensanglanté par l’imagination des romanciers et des cinéastes, l’Orient-Express fut un haut lieu de grandes et de petites histoires.

Paris-Istanbul à plus de 8 000 euros
Familles royales, hommes d’affaires, diplomates, écrivains, célébrités du septième art et même espions comme Mata Hari : nombreux sont les voyageurs fortunés à être montés à bord de l’Orient-Express depuis sa première mise en circulation le 5 juin 1883. Ce jour-là, la locomotive à vapeur crache sa fumée de Paris à Constantinople. 3 200 kilomètres en quatre jours à 90 km/h de moyenne pour profiter du comble du luxe. En 1918, l’armistice du 11 novembre est même signé dans la voiture 2419. Au cours du XXe siècle, l’Orient-Express connait un parcours chaotique et manque de disparaître, victime de la concurrence de l’avion mais aussi de la guerre froide qui limite ses trajets à l’Europe de l’Ouest. Restauré par un magnat américain à la fin des années 80, il retrouve son itinéraire historique après la chute du mur de Berlin. Les onze voitures-lits, avec ses cabines privées, ses longs couloirs en bois précieux, ses trois wagons-restaurants et sa voiture-bar de style art nouveau n’ont jamais changé. Un steward de cabine et 40 agents de service, tous gantés, veillent fidèlement au confort des 188 passagers, priés de s’habiller avec élégance. Il faut dire que pour s’offrir le voyage original "Paris-Istanbul", proposé une fois par an, les nostalgiques des grands trains de luxe, à la recherche de sensations fortes, doivent débourser plus de 8 000 euros. A ce tarif, mieux vaut éviter jean et tee-shirt.

Le parfum du mystère
L’Orient-Express est la figure de proue des chemins de fer, inaccessible pour la plupart d’entre nous. Cependant, dans chaque train de la SNCF, à un prix plus abordable, on peut retrouver quelque chose de son imaginaire, le faste en moins. TGV ou Corail, le train cultive une part de mystère et d’exotisme. Nourri de ce sentiment d’évasion, le passager part un peu à l’aventure. Privé ou professionnel, le voyage en train n’est jamais une formalité. Il doit rester synonyme de dépaysement. D’abord en gare, le voyageur, solitaire ou en famille, poursuit le même rituel : tirant sa valise ou ses enfants - les deux parfois ! -, son regard scrute le gigantesque panneau d’affichage des trains au départ. Depuis qu’ils ont été informatisés, je reste nostalgique du cliquetis des volets qui annonçaient la voie. Puis, la foule se presse sur les quais pour rejoindre sa voiture à temps, au milieu des amoureux qui se bécotent une dernière fois. La sonnerie retentit. Les portes se ferment. Les retardataires montent en catastrophe. Généralement, ils occupent la place à côté de la vôtre, celle que vous avez cru libre jusqu’au départ en prévision d’un petit roupillon.
Puis, passés les toits des immeubles de banlieue, la fenêtre devient un écran de cinéma sur lequel défilent les paysages du terroir : forêts, lacs et rivières, clochers et châteaux perchés. On aperçoit ici ou là, furtivement, une curiosité qu’on ne saurait voir depuis la route. Dans le film de Pascal Thomas, Mon petit doigt m’a dit, inspiré d’un roman d’Agatha Christie, Prudence Beresford (Catherine Frot) aperçoit une mystérieuse demeure, au bout d’une allée de platanes, depuis la fenêtre de son compartiment. Or, elle reconnaît la maison d’un tableau, découvert dans des circonstances étranges. Flairant l’énigme, elle s’efforce de localiser l’endroit. Sa curiosité la conduit alors au cœur d’une intrigue criminelle. Lieu de dramaturgie où il est possible de construire une histoire, le train change notre regard sur le patrimoine. C’est l’occasion de dénicher l’anecdote et de s’inventer des secrets. Chaque voyage se nourrit d’expériences, de souvenirs et de lectures. A ce propos, d’où vient cette tradition de lire un polar dans le train ? Statistiquement, ce sont les livres les plus vendus en gare et les plus lus pendant le trajet. Sans doute parce qu’un roman d’Agatha Christie se dévore en trois heures, d’une traite, et que la règle du cloisonnement, comme une garde à vue, impose de ne pas descendre avant d’avoir découvert toute la vérité.
Le train est aussi le lieu de toutes les rencontres. On peut choisir de s’isoler, des écouteurs sur les oreilles, ou rivé sur son ordinateur. Parfois, des dialogues se créent, surtout quand le train s’immobilise, sans explication ; des jeux peuvent s’improviser. On échange des cartes de visite ou des banalités. Il m’est arrivé de loucher sur la stratégie commerciale de mon voisin, peu vigilant. D’ailleurs, certains cabinets ont interdit à leurs consultants de travailler dans le train, pour des raisons de confidentialité. Alors, il ne reste plus qu’à somnoler, bercé par cette ambiance sonore si caractéristique. Avant le contrôle des billets, s’il vous plait.

Bons baisers d’Auvergne
Sur les lignes modernes où filent les TGV dont c’est le 30e anniversaire cette année, un certain art de vivre a disparu. Fondée en 1872, la Compagnie des Wagons-Lits a perdu progressivement l’exploitation des liaisons intérieures. Et surtout celle du Pullman Orient-Express, géré désormais par la SNCF. Il ne reste plus que la très belle chanson d'Alain Souchon, La Compagnie, pour rendre hommage au lustre d’antan : « Sept heures, pain beurre, jolie porcelaine. Longeant les splendeurs de la côte italienne. Air embaumé, Méditerranée. Transports amoureux surannés ».
Sur les Corail Téoz, la voiture-bar a été remplacée par un chariot de vente ambulante depuis 2003. Une découverte pour moi, l’année dernière, lors d’un Paris-Caen ! « Ça fait longtemps que vous n’avez pas pris le train, vous ! » me lance un contrôleur sarcastique. Le TGV, non. Mais le vieux tortillard, oui. Et, en mars dernier, j’inaugure mon premier Paris-Clermont Ferrand. L’idée de ce papier m’est venue pendant que j’admirais le paysage, jusqu’à ce que le train s’arrête en rase campagne, quelques kilomètres après Montargis. Sur mon carnet de notes, j’écris : « On aime le train, même quand il s’arrête en pleine campagne, sans information. C’est l’occasion de s’interroger sur le rapport au temps. La modernisation des chemins de fer a raccourci les distances. Mais pas les retards. » Je ne croyais pas si bien dire. Le chef de train annonce un problème de caténaire sur la motrice. Une locomotive de dépannage nous ramène à Montargis. Puis, nous changeons de train. Panier gourmand offert à bord. Au final, une entrée en gare de Clermont Ferrand avec plus de deux heures de retard. Du temps perdu que l’agent 007, à bord de l’Orient-Express dans Bons baisers de Russie, aurait certainement mis à contribution… en galante compagnie.