samedi 19 février 2011

Et si Frankenstein était espagnol ?

Décidément, les espagnols sont doués pour nous faire peur. Aussi bien au cinéma qu'en littérature. Dans la lignée de Montague Rhodes James, les auteurs britanniques sont devenus les champions du monde de la ghost story. En France, Maupassant s'est imposé comme le spécialiste de la nouvelle fantastique. Côté ibérique, une nouvelle génération d'écrivains sont passés maîtres dans l'art du conte macabre. En 2009, j'avais découvert avec délice le polar historique de Jeronimo Tristante, Le mystère de la Maison Aranda, une intrigue criminelle dans le Madrid du XIXème, flirtant avec le paranormal. L'auteur puisait son inspiration dans les codes de la littérature gothique (sorcellerie, passages secrets, bruits inexplicables), multipliant les clins d'œil à Sherlock Holmes, Arsène Lupin ou encore Jack l'éventreur. Aujourd'hui, c'est au tour d'un autre écrivain d'origine espagnole, Carlos Ruiz Zafon, de nous enchanter avec Marina, un roman fantastique écrit il y a dix ans et reparu récemment après le succès mondial de L'ombre du vent. Or, les livres qui me touchent sont plutôt rares. Marina en fait partie.
Dans la Barcelone des années 1980, un adolescent de quinze ans, Oscar, s'échappe régulièrement de son pensionnat pour rejoindre les habitants d'une mystérieuse demeure, un père et sa fille prénommée Marina dont le jeune garçon tombe amoureux. Ensemble, ils vont suivre la piste d'une étrange femme en noir qui se recueille régulièrement devant une sépulture sans nom, dans un cimetière oublié depuis des décennies. Que signifie le papillon noir qui orne la pierre tombale ? D'indice en indice, les jeunes compagnons vont ressusciter les souvenirs macabres d'une vieille et monstrueuse tragédie. Virtuosité dans l'écriture, personnages bien trempés, scènes dépeintes avec intensité, décors patinés et surnaturels, dénouement poignant : l'énigme de Marina rend hommage au Frankenstein de Mary Shelley. Mais, surtout, il ressuscite les fantômes de l'enfance. Quand, animé par l'esprit du Club des Cinq, on se lançait aveuglément dans des jeux de pistes, bravant les interdits pour pénétrer dans des propriétés privées que l'imagination rendait abandonnées et hantées. Oscar, c'est un peu chacun de nous, intrépide à quinze ans, héritier du grand Meaulnes, préférant les escapades en forêt aux salles de classe. Quant à Marina, c'est le premier amour de jeunesse. Les premiers émois. Un appât à mystère qui joue l'incertitude des sentiments. Et nous fait grandir.
Marina est le roman qui permet d'aller au bout d'une quête, d'enfreindre les lois et d'ouvrir la boîte de Pandore. Car, dans la vie, percer certains mystères peut être fatal. Pas dans ce livre.

Photographie : Cimetière du Père-Lachaise / Julien Valentin