mercredi 20 octobre 2010

Quelque chose de pourri

Dans la scène 4 de l'acte premier, un spectre se manifeste à Hamlet et lui fait signe de le suivre. Son ami Horacio l'en dissuade : "Eh quoi ! monseigneur, s'il allait vous attirer vers les flots ou sur la cime effrayante de ce rocher qui s'avance au-dessus de sa base, dans la mer ; et là, prendre quelque autre forme horrible pour détruire en vous la souveraineté de la raison et, vous jeter en démence ?" Ignorant la mise en garde de ses amis, il part avec le fantôme. Horatio déclare : "L'imagination le rend furieux". C'est alors que Marcellus, un officier,  prononce la célèbre tirade "il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark". Quatre siècles après cette tragédie de William Shakespeare, la même scène se déroule aujourd'hui, en France. Des grévistes, aveuglés par le spectre des syndicats, poursuivent une illusion, au risque d'y perdre la raison et le bon sens, sans tenir compte des mises en garde. Conséquence : "Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France".
La protestation qui s'éternise contre la réforme des retraites, c'est la porte ouverte aux dérapages, à l'enlisement. Alors, oui, aujourd'hui, ça pue. Les cheminots durcissent le mouvement alors qu'ils sont les mieux lotis du système, faisant partie des régimes spéciaux (retraite à 50 ans). Un début de preuve ? Une gaffe de Didier le Reste, responsable CGT à la SNCF en mai dernier sur RTL, un discours passé inaperçu jusqu'à maintenant, parfois détourné à des fins politiques (soyons honnêtes), mais qui fait à nouveau le buzz. Et pour cause. Lorsque le journaliste lui a demandé s'il n'a pas peur que les cheminots soient taxés de privilégiés, le syndicaliste a rétorqué "Celui qui me dit ça, je lui dis : sortez votre fiche de paie. Moi, j’ai 34 ans d’ancienneté. Vous savez combien je touche moi de retraite net, et je suis contrôleur de la SNCF. Je touche 2 300 euros. Il est où, là, le privilège ?" De nombreuses voix se sont élevées. Car la retraite moyenne des Français se monte à 1 625 euros pour les hommes et 979 euros pour les femmes. Dans un démenti, Didier le Reste explique avoir été victime d'un lapsus puisqu'il était toujours en activité à cette époque. Il aurait donc parlé de son salaire et non de sa retraite dont il ignorait encore le montant. Lapsus ou pas, c'est du plus mauvais effet de parler d'argent, sur un ton misérabiliste, à l'heure où la majorité des Français peinent à boucler les fins de mois. Autre pavé jeté dans la mare nauséabonde : le blocage des raffineries par des militants CGT et FO et le spectre (encore lui !) d'une pénurie d'essence, à quelques jours des vacances de la Toussaint. Près d'un tiers des stations-service de France seraient à sec. Du coup, les empoignades musclées se multiplient à la pompe. Or, est-ce normal qu'un petit nombre de manifestants bloque un pays en panne de croissance, sous prétexte que le gouvernement ne veut pas céder sur une réforme, actuellement entre les mains du Sénat ? Je ne crois pas. C'est un manque total de responsabilité qui risque de se payer dans les chiffres du chômage et de la consommation des ménages bien avant les urnes. Pourquoi résister à ce point au changement ? Est-ce montrer l'exemple aux jeunes, que l'on détourne au passage de leurs études, ciment de leur avenir ? C'est bien de réfléchir sur sa vie à 60 ans. Mais pourquoi pas dans une copie de philo ? Car, chers étudiants et lycéens, sachez que les mots sont toujours plus efficaces que les jets de pierre. Tiens, les dégradations, parlons-en ! Une mobilisation lycéenne, qui prend plus souvent la tournure d'un flash mob qu'un défilé organisé, est systématiquement infiltrée par des casseurs qui en profitent pour voler, brûler, blesser. Où est-elle, la maîtrise du mouvement ? Chers responsables des principales organisations lycéennes, dites-vous que le pourrissement attire toujours les mouches. Et les rats. Sans oublier les barrages routiers, les perturbations dans les transports en commun, les poubelles à Marseille, le blocage des avions, etc. A l'étranger, les journaux raillent. Vu de là-bas, la France vivrait un nouveau mai 68. La faute à qui ? Suivez mon regard : en tête des cortèges, ils se cachent derrière des banderoles. Tels des professeurs Frankenstein inconscients, les leaders syndicaux ont lâché leur créature. Elle est désormais hors de contrôle. Son objectif n'est plus seulement d'avaler la réforme des retraites. Mais de faire feu de tout bois (si j'ose dire), à commencer par la politique économique de Nicolas Sarkozy. La campagne aurait-elle déjà commencé ? Une chose est sûre : la radicalisation du conflit va finir par faire perdre aux manifestants leur principal carburant, le soutien de l'opinion publique, quoi qu'en disent les sondages (suspects, par nature). Espérons que le futur remaniement ministériel de novembre saura apaiser le climat social. Ah qu'il est loin, ce fameux 12 juillet 1998 où la France était descendue dans la rue. Pour chanter. Pas pour gueuler.