vendredi 15 octobre 2010

Plus vite que son ombre

Ce matin, après avoir déposé (que dis-je, expédié !) les filles à l'école, je marchais à vive allure vers mon rendez-vous. Et je n'étais pas le plus rapide dans la rue. Piétons, voitures, camionnettes, scooters, mamies et petits chiens : tout le monde se précipitait vers son but, comme des abeilles virevoltant dans la ruche, affairées à livrer leur pollen pour sortir le miel du jour. Témoin de ce rodéo matinal, les paroles d'une chanson me sont venues sur les lèvres : "Et c'est le temps qui court, court, qui nous rend sérieux. La vie nous a rendu plus orgueilleux". Plus orgueilleux et surtout, plus cons. Car, passées les bonnes résolutions de la rentrée où il était convenu de se coucher tôt, pour se lever bon pied bon œil et prendre le temps d'un petit déjeuner, avant de conduire les enfants à l'école, en toute sérénité, le froid de l'automne et surtout la litanie des mauvaises nouvelles, égrenées à la radio comme la voix de la malédiction, ont rendu le temps plus rapide que nous. Nous mettant en laisse, derrière lui. La chèvre de monsieur Seguin a laissé place au mouton de Panurge.
Mais pourquoi le temps prend-il un malin plaisir à nous rendre dépendant de notre montre ? Surtout en ville. Serait-ce plus sage à la campagne ? C'est en tous cas l'impression que j'ai lorsque des amis, expatriés en province, témoignent d'une autre qualité de vie, une autre appréciation du temps. La ville est donc un concentré de précipitations en tous genres. On ne peut rien faire en marchant, même si on n'a rien à faire. Pourquoi courrons-nous ? Pour rattraper le temps perdu ? Ou pour fuir la morosité de l'actualité : les lycéens qui pensent à leur retraite avant leur bac (curieuse notion du temps), les pompes à essence qui s'assèchent à une semaine des vacances de la Toussaint (encore temps de faire le plein !), les poubelles malodorantes qui s'entassent à Marseille (l'air du temps ?), les mineurs chiliens qui, après le souci de la fraternité, vendent leurs aventures aux plus offrants (un temps pour tout...), etc. Heureusement que Lucky Luke est de retour. Car le temps semble n'avoir aucune emprise sur le "lonesome cow-boy". Pas besoin de courir, il tire plus vite que son ombre. Le nouvel album de ses aventures, Lucky Luke contre Pinkerton, sort en librairie, aujourd'hui, vendredi 15 octobre. Ai-je bien lu mon agenda ? Nous sommes déjà mi-octobre ? Mince, je n'ai pas vu le temps passer depuis la rentrée. Et le business qui tarde à repartir. Pourtant, les gens sont débordés. Cela devrait être bon signe, non ? Que nenni ! Entre les acheteurs et les vendeurs, il y a le temps qui fait barrage. Pour preuve, rien de telle qu'une petite séance de prospection par téléphone pour vous foutre le moral dans les chaussettes. "Est-ce que je vous dérange ?" est la question à ne plus poser. Puisque c'est toujours "oui", par défaut. Vous me direz, c'est rarement : "Non, non, pas du tout. Vous ne me dérangez pas. Je suis affalé dans mon fauteuil de bureau en train de me tourner les pouces et j'attendais justement votre appel"... Je rebondis, poliment : "Quand puis-je vous parler ?". La réponse tombe comme un couperet absurde : "Pas avant la fin de l'année. En janvier, ça sera plus tranquille". Mais, en janvier, il y aura la reprise de la nouvelle année, la galette des rois, le froid de l'hiver, les gaz à effet de serre, la grippe, le sapin à descendre sur le trottoir,... Comme j'aimerais être Lamartine pour dire "ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours !" Oui, mais voilà : je ne suis ni chanteur, ni poète. Et comme dirait Benjamin Franklin, "le temps, c'est de l'argent."