lundi 27 septembre 2010

De l'art ou du cochon ?

Dans la liste "noire" des chansons qui vous trottent dans la tête toute la journée, alors qu'un petit malin vous fredonne l'air de bon matin, à la radio, au métro ou au boulot, il y a "le petit bonhomme en mousse" (popularisée - hélas ! - par Patrick Sébastien après avoir été jouée au kazoo pour accompagner un jeu de marionnette). Dans le même registre "soupe au lait", on peut citer "It's a small world", cette mélodie irritante qu'on entend à Disneyland, dans l'attraction de poupées du même nom, chantée dans toutes les langues de la terre. A l'origine, son auteur la présente comme un "hymne de fraternité universelle". Certes. Des guerres ont éclaté pour moins que ça... Aujourd'hui, un trublion de la chanson française a posé sa pierre à l'édifice des tubes décalés et entêtants. Son nom : Philippe Katerine.
Méconnu du grand public avant son désopilant "Louxor j'adore", sans oublier le clip associé où il sillonne, habillé en rose, avec ses "Katerinettes", une route de campagne sur un camion-scène, Katerine est un ovni médiatique, une énigme musicale. Est-il fou à lier ou, au contraire, parfaitement conscient de sa fantaisie, à la limite de l'irrévérence ? Car il n'y a rien de pire qu'un concept très étudié déguisé en grand n'importe quoi. Ça frise la bobo-attitude ! Son nouvel album, Philippe Katerine, sort aujourd'hui dans les bacs. Or, la réaction est sans appel : on aime ou on déteste. De l'argent foutu en l'air ? Pas si sûr. Selon moi, le titre-phare "La banane" va vite faire partie de la liste des chansons obsédantes. Le rythme est entraînant, les paroles d'une naïveté insolente et le clip potache. Tous les ingrédients pour un "hymne de fraternité universelle", une invitation à la liesse populaire. Arrêt sur images : un dimanche de juin, en Bretagne, au milieu de figurants recrutés sur petite annonce, Philippe Katerine joue le cabotin, lâché tout nu sur la plage, criant son désespoir de devoir se lever le matin pour aller travailler. "Plutôt crever !" dit-il. Le film fait bricolé. Un hommage (in)volontaire à Les Nuls ? Car c'est bien à l'humour parodique de ces comiques des années 90 qu'on pense. Souvenez-vous aussi des plateaux de Nulle Part Ailleurs ! Des fous rires communicatifs de Philippe Gildas devant les facéties de De Caunes et Garcia, aujourd'hui cultes ! D'après moi, Philippe Katerine joue sur cette corde nostalgique de l'ère médiatique où les humoristes osaient tout. A la manière de Jango Edwards dont la seule ambition était de finir une interview en  food fight. Collées à nos vies d'étudiants réac', ces images arrivent encore à tirer un sourire et une larme. Toujours aux limites de la vulgarité. Mais qu'est-ce que la vulgarité ? Faire dire à la reine d'Angleterre : "Hello I am the queen of kingdom and  I am shiting on your face" que la décence m'empêche de traduire ? Ou bien se moquer de la devise républicaine : "Liberté, mon cul ! Egalité, mon cul ! Fraternité, mon cul !" ? Pour moi, certains intellectuels (et je ne citerai pas de nom !) arrivent à être vulgaires sans prononcer la moindre parole scatologique. Or, le scato, Philippe Katerine est en plein dedans, si j'ose dire. C'est un vrai sujet de psychanalyse, comme tous les artistes. Il puise son inspiration au stade anal, ce concept très sérieux décrivant la seconde phase de l'évolution affective du bébé humain, entre 18 mois et 3 ans. C'est le temps du caca-boudin. Katerine n'aurait donc pas dépassé ce stade ? Qu'en pensent ses parents ? Il suffit de leur demander : ils figurent sur la pochette de l'album ! Et nous ? Les fans ne s'y trompent pas. Leurs commentaires sur les forums hésitent entre talent et escroquerie : "Frais et décalé, [il] se fout des registres conventionnels. ça change de la soupe servie à la radio" ; "encore un grand n'importe quoi cet album, toujours aussi barré ce chanteur, mais j'aime ça" ; "si vous avez l'esprit étroit, une vision étroite de l'art et de la musique, passez votre chemin" ; "certains vont adorer. En ce qui me concerne, je pense qu'il s'agit d'un immense foutage de gueule" etc. L'un des internautes, François S., se demande même s'il s'agit "de l'art ou du cochon", avant de conclure "j'ai l'impression que le second degré a fait partir Katerine vers des horizons où j'ai bien du mal à le suivre." Certains se reconnaissent dans cette tentation d'échapper au sérieux du quotidien. D'autres hurlent à la trahison. Le grotesque ne durera-t-il qu'un temps ? Symptomatique de l'humeur du moment, le box-office tranchera.