lundi 23 août 2010

Les vacances de Monsieur Hulot

En 1975, alors que la France compte 600 kilomètres de bouchons cumulés, un samedi 2 août, et que la RN10 qui relie Paris à la frontière espagnole est saturée sur un quart de sa longueur, les médias fustigent les pouvoirs publics. Comment éviter que la situation ne se reproduise ? Trois mesures sont retenues. Il faut étaler les déplacements routiers des Français lors des grands départs en vacances ; renforcer les itinéraires bis ; communiquer. L'année d'après, des cartes routières sont éditées en grand nombre et une campagne publicitaire est lancée. Le personnage "Bison Futé" fait son apparition. Depuis, le petit indien ne cesse de donner une couleur aux prévisions de trafic, à la radio et à la télévision. Pour inciter les automobiles à être sioux et faire leur transhumance à l'abri des bouchons. Certes, le résultat est incontestable. N'empêche que les files interminables de voitures aux péages ont toujours des allures de troupeaux, chaque week-end, en juillet et en août. Peu importe. La France est en vacances ! En hommage à Jacques Tati et son célèbre film, je vous propose ce petit florilège d'anecdotes estivales. Prélevées dans ces semaines d'insouciance. Le meilleur comme le pire. Avec cette délicieuse constatation : en congés, non plus, on ne se refait pas...

Qui dit mieux ?
Fin juin. Grosse chaleur parisienne avant les départs. Le soleil cogne fort. Sous le pare-brise de ma voiture, un Renault Scenic, le rétroviseur central se décolle. J'avais repéré le problème quelques jours plus tôt, lors d'une virée dans le Calvados. Après un rapide démontage, je constate que la colle a lâché sous la vitre, rudement chauffée par le cagnard. Surprenant ! C'est donc avec un bout de scotch que je rafistole le miroir en attendant de passer chez Renault, en Bourgogne, sur mon lieu de vacances. "Qui mieux que Renault peut entretenir votre Renault ?" dit la pub. En bon élève du marketing, je suis le conseil et prends rendez-vous chez un concessionnaire, à Autun, en Saône-et-Loire. Après une bonne heure pendant laquelle l'objet du scandale est désossé, le technicien nous informe qu'il ne peut rien faire. Pire : il ne sait pas quoi faire ! Il doit faxer la panne à Paris pour obtenir la procédure réglementaire. On lui renvoie une check-list avec le type de colle à appliquer. Pas en stock. Dommage. Commande effectuée en urgence. Livraison peut-être lundi (nous sommes un vendredi). Merci de repasser. Ils aviseront. Sans garantie. Il remet du scotch et nous remercie. Hallucinant. Finalement, l'intervention a eu lieu. Avec succès. Renault sait donc réparer ses voitures. Mais pas sans l'aide de Paris. Alors, que se passera-t-il demain si ma vitre se coince, en position ouverte ? Je scotche une bâche, en attendant la fiche méthode de Carlos Ghosn ?

Double face
Dans le Figaro Magazine du 17 juillet, une page santé salue la dernière prouesse médicale du Professeur Laurent Lantieri, du CHU Henri-Mondor (Créteil), qui a réalisé la première greffe intégrale d'un visage sur un patient défiguré par une maladie génétique. Un schéma résume la délicate opération chirurgicale. Pendant 6 heures, la face du donneur est entièrement prélevée, jusqu'au squelette, incluant les muscles, les paupières, les oreilles et les lèvres. La transplantation dure ensuite 12 heures. Artères, veines et nerfs sont connectés sous microscope. Le nouveau visage du receveur s'adapte à l'ossature. Le patient est aujourd'hui en bonne santé. Il mange, parle, ouvre les yeux et doit même raser une barbe naissante. Sitôt les nerfs repoussés, il pourra lever les sourcils et sourire. Devant ce défi technique jamais réalisé auparavant, je pense au film "Face/Off" (Volte-face, 1997) de John Woo dans lequel les héros interprétés par John Travolta et Nicolas Cage échangent leurs visages pour les ressorts d'une intrigue policière. Treize ans plus tard, la science a rattrapé la fiction. L'homme est ainsi capable de lancer des défis à l'imagination. Puis, de les réaliser. Un jour ou l'autre. Où cela va-t-il nous mener ? Je suis partagé entre admiration et inquiétude.

Domenech chez Madame Tussaud ?
Le fiasco de l'équipe de France à la Coupe du Monde de Football est passé. La pression est retombée. Du moins, dans l'opinion publique. Mais pas pour la presse people qui continue de se déchaîner, par petites phrases et gros procès d'intention, contre le sélectionneur déchu, Raymond Domenech. Dans un numéro de "Voici", feuilleté sur la plage, la journaliste Lina Morata se permet un papier scandaleux sur les vacances bretonnes du couple Domenech / Denis. Que les médias vitupèrent contre la prestation désastreuse des Bleus et de leur coach en Afrique du Sud, je peux l'admettre. Mais qu'est-ce qui permet à la journaliste d'écrire : "Pour Estelle, il a donc de quoi s'inquiéter. Car même si Merlin [le fils de Domenech] est plus poli que Nicolas Anelka, elle sait désormais que, pour construire une équipe qui gagne, faut pas trop compter sur Raymond..." ? Domenech serait-il devenu un monstre au point que sa vie de famille tournerait à la débâcle ?  Son clone de cire devrait-il figurer au musée des horreurs de Madame Tussaud, à Londres ? L'article ne s'appuie que sur de simples conjectures, tirées des seules photos où les protagonistes ne sourient pas. Peut-elle en conclure une "drôle d'ambiance" dans le couple ? Une rupture ? On ne tire pas sur l'ambulance. Et on ne se venge pas sur la vie privée. Simple question d'intelligence.

La grève du cerveau gauche
La philosophie, ce n'est pas une lecture de transat. Délaissant l'activité émotionnelle de mon hémisphère droit, j'ai essayé de me plonger dans un livre d'Alain Finkielkraut : "L'imparfait du présent" publié chez Gallimard. Je m'y suis perdu. Rien compris. Lecture interrompue au bout de quarante pages. Le cerveau liquéfié. Pris d'un irrésistible complexe d'infériorité. Diagnostic : luxation des neurones. Existe-t-il une littérature sophistiquée, accessible uniquement aux initiés ? Il faut croire. Je ne sais plus pourquoi ni comment j'ai mis la main sur ce bouquin mais c'est plus indigeste qu'un bon polar. Pourtant, en interview, l'écrivain est passionnant. Bon. J'ai voulu jouer dans la cour des grands. Je me suis fait piquer mon cartable et mes cahiers. Dépouillé de toute culture, je suis retourné à mon roman policier. Décidément, l'été aussi, la raison fait grève.

Atomes crochus
Dans le jardin, ma fille de 3 ans et demi brandit un flacon pour faire des bulles de savon. Je me joins à elle, pour un petit coup de main. Car, tel Fernand Raynaud dans son sketch de la bougie, elle ne souffle pas où il faut. Dès l'instant où s'envolent toutes les bulles de tailles différentes, seules ou en formation, un souvenir me saisit : on dirait un cours de chimie, en grandeur nature. Une molécule à l'œil nu. Le résultat d'une expérience scientifique. Une matière en pleine mutation. Comme une madeleine de Proust, tout me revient. Mon professeur de physique au collège, petit barbichu à lunettes et blouse blanche. Les histoires de mole et les structures atomiques à construire comme des Légos. Les mélanges aléatoires. Les  éprouvettes fumantes et les odeurs nauséabondes. Le labo aux paillasses carrelées. Pour moi, la chimie a toujours été une alchimie. Une magie pour apprenti-sorcier. Ainsi, alors que ces bulles éclatent, emportées par le vent, et que ma fille rit aux éclats, je repense à ces petits bonheurs qui continuent de m'enchanter. Et que je lègue, consciemment ou non, à mes enfants.

Auto-stop
Refoulé de la piscine municipale de Saint-Didier-en-Velay, en Haute-Loire, pour cause de maillot de bain non réglementaire (il doit être serré au corps, pour une histoire d'hygiène, soi-disant. Ce qui n'empêche pas les mal-élevés de faire pipi dans le grand bain ! Enfin...), je retourne, à pied, au village où je séjourne. J'enrage. Dès l'instant où je fais les frais d'une règle stupide (à mon sens), je prends des décisions à l'emporte-pièce. Aussi irraisonnées que la règle en question. Je me lance donc, grognon, sur la route. Distance : 8 km. Durée de parcours estimée : 1h50. Plutôt ambitieux. D'autant plus que je porte des chaussures sans chaussettes, et mon maillot de bain (non réglementaire). Il fait chaud et le soleil tape. Mauvais plan, me dis-je. Je pourrais couper à travers bois ? Ignorant les chemins, j'abandonne vite l'idée. Au bout d'un quart d'heure de marche et une ampoule naissante au pied gauche, une camionnette blanche s'arrête à ma hauteur. "Vous allez où ?". Ayant pitié de moi, le chauffeur me prend en stop. A la vue de l'utilitaire, j'imagine déjà le scénario : je vais finir dépecé à l'arrière, comme dans le "Silence des Agneaux". Et on retrouvera mon corps dans la Semène, la rivière du coin. Au lieu de cela, je raconte ma mésaventure à mon sauveur, mon "Simon de Cyrène", qui rit de bon cœur. Il me dépose à deux pas de chez mes amis, me faisant gagner un temps fou. C'est la première fois de ma vie que je suis pris en stop, sans lever le pouce. Expérience aussi étonnante qu'inattendue.

L'énigme du gâteau au chocolat
Pour les longues et belles soirées d'été, les jeux de société sont revenus à la mode, en famille ou entre amis. Or, en bon amateur de detective stories que je suis, je n'ai pas résisté à l'envie d'offrir le "Cluedo Junior" à mon filleul. De surcroit, à l'occasion d'un séjour dans le château où j'ai passé mes années d'étudiant à animer des jeux de rôle policiers, des murder parties. Le décor parfait pour jouer les Agatha Christie en culottes courtes. Avec des règles simplifiées, pour répondre aux attentes des 5/8 ans, chaque partie reste un pur régal. Certes, il n'y a pas de cadavre mais un vol de gâteau d'anniversaire. Pas d'arme du crime mais un verre de lait ou de jus d'orange en guise de complice. Les indices sont sous les pions de jeu. Et les personnages restent inchangés. Chère Mademoiselle Rose... En outre, il faut toujours procéder par élimination pour trouver la solution. Comme dans le cadre de la survie d'une espèce en voie de disparition, aurais-je offert ce jeu dans l'espoir de perpétuer la tradition, de transmettre le virus de l'intrigue et du mystère ? Au même titre que tous les livres de fantômes pour enfant que j'offre à mes filles dans la perspective de leur léguer un jour ma collection de romans fantastiques. L'éducation nous amène parfois à édifier des sociétés secrètes avec nos enfants. Sauront-ils être dépositaires d'un trésor caché ?

Vrais requins
Lundi 16 août, une alerte au requin est lancée sur la Côte d'Azur. Des baigneurs auraient aperçu un aileron à proximité de la plage de Cagnes-sur-Mer. Du coup, baignade interdite et des reportages en pagaille dans les journaux télévisés. Le scoop fait son petit effet. Car le spectre du film de Steven Spielberg n'est jamais loin quand on a les pieds dans l'eau. Il faut dire que la mer garde sa part de mystère. Qui sait ce qui grouille sous la coque d'un bateau, lorsqu'on ne touche plus le fond ? Mais là n'est pas la question. Une fois encore, nous avons la preuve que, dans l'actualité estivale, les sujets légers, qui flirtent avec le thriller, ont plus le vent en poupe auprès des vacanciers que les petites polémiques politiciennes ou les catastrophes humanitaires. Finalement, l'anecdote est close : il s'agissait d'un dauphin, en grande détresse après un accouchement difficile. Le scoop se dégonfle. Alors, que reste-t-il pour remplir un journal ? Les petites polémiques politiciennes. Et les journalistes, pour jeter de l'huile sur le feu. Les Verts en désaccord, le gouvernement attaqué pour sa politique sécuritaire, le PS plébiscité par un sondage pour 2012 sans qu'on lui reconnaisse le pouvoir de changer les choses... D'autres histoires de requins, en quelque sorte.