Le 17 juin, lorsque les sujets de philo sont tombés au bac, je me suis dit, non sans une pointe d’orgueil : si j’y étais, qu’aurais-je choisi ? Aurais-je été meilleur qu’à l’époque de mon bacho, maintenant que je sais lire et écrire ? Alors, je me suis pris à disserter sans risque sur l’un des sujets de la filière ES dont j’ai fait partie : le rôle de l’historien est-il de juger ?
En bon élève, on commence par décortiquer le sens des mots. J’ai toujours détesté le latin et le grec. Mais la recherche de l’étymologie m’a souvent préservé du syndrome de la page blanche. Qu’est-ce qu’un historien ? Quel est son rôle ? Que veut dire juger ? Juger quoi ? En fait, la philosophie reste cette éternelle gymnastique intellectuelle qui consiste à poser plus de questions que d’apporter de réponses. Ça fait gagner du temps. Les premières réflexions en découlent. En vue d'un plan. Le travail de l’historien consiste à préserver l’histoire, à archiver les faits, à rechercher la vérité. Il vit donc au passé composé. Mais il ne peut raconter l’histoire sans être influencé par son identité et sa propre culture. Comme dirait Albert Camus, « le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti ». Car écrire, c’est choisir une orientation, flirter avec l’interprétation. Digérer pour mieux transmettre. Inconsciemment, l’historien ne peut échapper au risque de donner son avis. Mais peut-il juger à posteriori, hors contexte ? Quand j’ai dit ça, j’ai tout dit. Enfin, tout ce que j’avais à dire. Des exemples ? Je pourrais toujours parler de la bible et des quatre évangélistes du Nouveau Testament dont les biographies sur Jésus diffèrent d’un saint à l’autre, selon s’il était témoin ou non. La religion en philo ? A prendre avec des pincettes… Pourquoi ne pas remonter à l’Egypte ancienne avec Manéthon grâce à qui les mystères des pharaons n’ont plus de secrets ? Ou bien à l’Antiquité avec sa flopée d’historiens, aux noms de médicaments : Xenophon, Polybe, Suétone ou Lactance. Au Moyen-âge, des chroniqueurs font les récits des guerres et des croisades. Comme les peintres, ils dressent le portrait des puissants. Vous en connaissez ? Je passe les siècles en revue dans ma tête. Aucun historien célèbre ne me vient à l’esprit. Il me faut puiser dans le XIXème siècle, autrement dit aujourd’hui dans l’échelle du temps, pour me souvenir vaguement de Michelet ou de Renan. Je pense surtout aux contemporains qui ont bercé mes études, comme Bernstein et Milza à qui l’on doit une excellente histoire du XXème siècle en trois tomes. Une source intarissable dans laquelle mon prof d’histoire du lycée n’hésitait pas à puiser, mot à mot, pendant ses cours. A l’insu de ses élèves. Mais pas de mon camarade Bertrand qui avait déniché les précieux ouvrages. Une vocation était née. Il est aujourd’hui professeur d’histoire-géo. Enfin, il y a les stars médiatiques avec Alain Decaux, Max Gallo, Hélène Carrère d’Encausse, Michel de Grèce ou Jean Tulard. Mais les citer dans une copie de philo, c’est comme faire référence à Marc Lévy ou Bernard Werber dans une dissertation de français. C’est un peu trop facile. Finalement, je n’aurais pas tenu la distance bien longtemps.
Et tout à coup, alors que je mâchouille mon crayon à papier, les yeux levés vers les mouches qui réalisent des ballets aériens au plafond d’une salle d’examen surchauffée, je réalise que le journaliste a supplanté l’historien. Face à l’actualité écrasante des scandales, des lynchages et de la vindicte populaire qui en découle, par la pression médiatique qu’il exerce sur certains, je me demande si le journaliste ne cherche pas à faire l’histoire en faisant mine de la rapporter ? Je change donc d’angle, quitte à faire du hors-sujet. Le rôle du journaliste est-il de juger ? Lorsque les Domenech, Woerth ou Bettencourt, sans compter tous les ministres sur la sellette pour leurs abus (cigares, avion, immobilier et autres péchés mignons), sont livrés en pâture à l’opinion publique comme « des quartiers de viande aux fauves dans les cirques », selon les propos de Guy Carlier dans une récente Douche froide sur Europe 1, où est le travail du journaliste ? Consiste-t-il à fouiller les poubelles pour empêcher la réalisation d’une réforme ? Alors que les Français n’aspirent qu’aux vacances et, si possible, à la reprise économique de la rentrée, des blogs engagés qui marchent sur les traces du Canard Enchaîné ruminent des affaires sales qui collent aux chaussures de victimes expiatoires : Marianne 2, Bakchich Info, Mediapart, Rue 89, Le Post,… Le pire, c’est que leurs auteurs sont plus consultés par la profession que les dépêches de l’AFP. Tous les chroniqueurs les citent en source. Repris en boucle par les autres médias, radio, presse et télé, leurs broncas finissent par user les patiences et fissurer notre capacité personnelle de jugement.
Mais revenons à nos moutons (de Panurge) : le rôle des journalistes est-il de juger ? Pas plus que les historiens dont le rôle serait plutôt d’inscrire des faits marquants (mais qu’est-ce qu’un fait marquant… ?) dans la mémoire collective, sans les provoquer, ni les travestir. Et que chacun reste à sa place. C’est l’histoire qui jugera !