mardi 31 août 2010

Garde à vous

A quelques jours de la rentrée des classes, alors que certains manuels scolaires vont manquer à l'appel en seconde et que le spectre d'une grève plane déjà sur l'administration, le ministre de l'Education, Luc Chatel, a relancé le débat sur la nécessité pour les élèves de se lever à l'entrée d'un professeur dans leur salle de classe, au nom du "respect et de l'incarnation de l'autorité". Une belle occasion pour les anciens de témoigner, dans la mesure où l'on ne juge que dans la durée, et non dans l'instantanéité, des bienfaits ou des méfaits d'une telle mesure disciplinaire. Aux micros des médias, la plupart des jeunes interrogés y sont favorables. Quant à moi, je n'ai pas le souvenir d'avoir été traumatisé par cette forme de "garde à vous", pendant mes années de collège et de lycée. Ni de l'avoir jugée avilissante. D'autant plus que j'ai passé ma scolarité dans un établissement privé de tradition chrétienne où la question de l'autorité ne se posait pas. Elle s'imposait. Au contraire, c'est avec un sourire aux lèvres que je revois le Frère Directeur, au physique d'Alfred Hitchcock, entrer dans la classe, à chaque fin de trimestre, pour remettre les notes. Je revois encore toute cette dramaturgie mise au service de son intervention aux allures de délégation présidentielle. Quel as de la communication ! Suivi du directeur de cycle et du surveillant général, il franchissait le pas de la porte, triomphant, interrompant séance tenante le cours. Déjà, la rumeur courait qu'il allait passer. Mais personne ne savait quand. Toute la classe bondissait hors de sa chaise. Même la pendule retenait son tic-tac. Le souffle coupé, les élèves, y compris les fortes têtes, rendaient honneur à leur directeur, comme des soldats sous les drapeaux. Puis, il nous invitait à nous asseoir, la gorge nouée, en attendant le verdict fatidique. Il égrenait alors les résultats, du dernier au premier, avec un mot de félicitation ou de sévérité pour chacun. Sitôt le duo de tête décoré d'un prix d'honneur (2ème) ou d'excellence (1er), il concluait par des encouragements et quittait l'estrade d'un pas décidé. Clap de fin. Autant dire que le cours reprenait difficilement, au milieu d'un ronron de commentaires enflammés ou désabusés. Le meilleur comme le pire étant à venir puisqu'il fallait transmettre la "douloureuse" aux parents le soir même. Que reste-t-il de ces épisodes trimestriels qui sentent encore la craie du tableau noir et le cuir du cartable ? J'en conserve une formule de politesse, que j'applique à chacun de mes rendez-vous : ne jamais s'asseoir tant que l'on y a pas été invité. Faudrait-il donc se lever pour mieux s'asseoir ?

PS : En préparant ce billet, j'ai fait quelques recherches sur ce mémorable Frère Directeur, Edmond Nayrolles. Il est décédé cette année, le dimanche 4 avril, dans sa 89ème année. Je lui dédie ces lignes.
PS(2) : Il n'est pas sur la photo de classe ci-dessus. Par contre, en cherchant bien, vous pourriez y reconnaître un visage...