Au temps de l’Egypte Ancienne, lorsqu’un pharaon était déchu, leurs successeurs ordonnaient d’effacer toute trace de leur règne, à commencer par leur nom sur les monuments et les documents historiques. Ainsi, Akhenaton, le neuvième pharaon de la XVIIIe dynastie, accusé d’hérésie contre l’ancienne religion, fut la cible de cette éviction. Alors que le célèbre Toutankhamon montait sur le trône d’Egypte, on ne devait plus prononcer le nom de celui qui avait osé défier les dieux. Ce qui arrive aujourd’hui à l’équipe de France, roman-feuilleton ubuesque en marge de la Coupe du Monde de Football 2010, ressemble à s’y méprendre à une destitution, doublée d’une grave crise de communication.
L’expulsion de Nicolas Anelka, pour des raisons encore troubles, a aussitôt conduit des annonceurs (Quick, Puma, Pringles) à reconsidérer les termes de leur contrat publicitaire avec la star du ballon rond. Quelles sont les marques qui ont fait le choix d’associer leur image à celle d’un joueur de l’équipe de France ? Et qui, face au fiasco étalé dans les journaux aux titres ravageurs, vont subir le contrecoup du sponsoring ? Adidas en tête dont les maillots risquent fort d’envahir les stocks d’invendus. Parce que les Bleus ne font plus rêver. Et Nike, le successeur, envisage-t-il l’avenir de son partenariat avec sérénité ? Pas si sûr. Car la crise qui secoue le football français, alors qu’un dernier match doit se disputer demain contre l’Afrique du Sud, est symptomatique d’une stratégie manquée de management et de relations publiques qui a pris ses racines, depuis plusieurs années, dans la loi du fric, de l’égo surdimensionné et de la pipolisation, au détriment des vrais valeurs du sport. Avec, pour conséquence (ou pour cause ?), une volonté farouche de Domenech de mettre ses joueurs à l’écart de la presse et de l’opinion publique. Mauvais choix, déclare tout de go, Bixente Lizarazu sur le plateau de TF1, dimanche dernier, provoquant un conflit d’opinion avec le sélectionneur. Le cœur de l’équipe de France aurait dû battre au rythme de la liesse populaire. Depuis plusieurs jours, l’héritage de 1998 (et d’avant !) semble bafoué. Les anciens Bleus se succèdent aux micros pour dénoncer la trahison et l’irresponsabilité. On ne sait plus qui blâmer : Domenech, la FFF, les joueurs, l’incompétence, les médias, l’argent ? La faute à qui ? En tant que spectateur passif de ce mauvais vaudeville (je n’ai jamais été très fan de football), j’ai toujours reproché à ce sport d’avancer au gré des recettes publicitaires. D’engranger des millions. De miser des fortunes sur des professionnels qui s’avèrent être, au bout du compte et pour quelques uns d'entre eux, de sales gosses, désabusés. Au cœur d’une polémique, Rama Yade leur avait suggéré de briller davantage par leur jeu que par leur chambre d’hôtel. Elle avait raison. Comble de l’ironie, la plupart des joueurs qui composent l’équipe de France, portant les symboles de notre pays dans le monde, ne jouent pas habituellement dans ses clubs nationaux : Henry (FC Barcelone), Evra (Manchester United), Sagna, Gallas, Clichy et Diaby (Arsenal), Diarra (Real Madrid), Malouda et Anelka (Chelsea) ou encore Ribéry (Bayern Munich) pour ne citer qu’eux. Pourquoi ? Pour la douceur du climat outre-hexagone ? Ou attirés par l’appât du gain ? Quel est l’enjeu pour eux de participer à cette compétition, sous les couleurs du drapeau français ? Comme dirait le vieux dicton, on ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif. Et pourtant, nombreux sont les supporteurs qui ont soif. Soif de beaux matchs, de victoires et d’esprit sportif. Au lieu de cela, on assiste au spectacle d’un divorce. Or, le plus triste avec ces histoires d’adultes : ce sont toujours les enfants qui trinquent ! Des cours d’école aux cours d’immeuble, les jeunes glorifient leurs champions, affichent leurs photos sur les murs, portent leur nom dans leur dos. Aujourd’hui, comme Akhenaton l’hérétique, les noms ne font plus vibrer. Ils ont trahi l’ancienne religion, le patrimoine légué par les Kopa, Platini, Hidalgo ou Jacquet.
Du coup de tête de Zidane au coup de main de Henry, le destin du football français a bien changé. Il est temps maintenant de se réveiller. Et de croire à des porte-drapeaux plus fédérateurs, comme la musique que nous fêtons aujourd’hui. Pourtant, en pleine crise économique et sociale, les Français auraient eu bien besoin d’un sursaut sportif, pour relancer le sens de la responsabilité et de la fraternité. Pour relancer l’espoir, tout simplement. Et si demain soir, face à l’Afrique du Sud, les Bleus nous surprenaient, une dernière fois ? Au lieu de laver leur linge sale, en famille ou devant les caméras de télévision, sauraient-ils mouiller le maillot, pour un baroud d’honneur ? La France reste suspendue à cette question. Et, pour une fois, moi y compris !