jeudi 10 juin 2010

Changement de ton


La communication est un transfert d’émotions. Si l’émotion passe, le message passe. Depuis des années, la Prévention Routière multiplie les campagnes publicitaires pour sensibiliser les jeunes automobilistes aux risques de l’alcool au volant. Mais les chiffres tombent comme des couperets : encore trop de morts sur les routes. En France, 12 personnes décèdent chaque jour dans un accident de la circulation. Or, les jeunes représentent 22% de ces décès. En outre, par million d’habitant, notre pays compte encore 50 à 60% de tués en plus que la Suède ou la Grande-Bretagne. Un palmarès honteux. Bien sûr, il y a les radars fixes pour générer une prise de conscience et, sur la durée, inciter les automobilistes à lever le pied, pour de bon. Mais rien n’y fait. A l’approche d’un radar signalé, on ralentit. Le flux s’arrête presque. C’est physique. Puis on accélère. Le point de contrôle est passé. Comme Space Moutain, à Disneyland. Sauf que sur la route, on évite la photo.
Depuis quelques jours, un nouveau film circule sur internet (voir ci-dessous). Cette fois-ci, la Prévention Routière a opté pour le marketing viral sur les réseaux sociaux, dans l’espoir que les jeunes, choqués par ces images, fassent tourner en un clic. En outre, dans ce domaine, les métaphores, ça ne marche plus. Il faut du concret, du violent, du sang, des larmes. Terminé le bibendum avec sa tête de smiley ! Le cinéma et ses innovations ont mis la barre très haut. Pourquoi les images du 11 septembre marquent-elles toujours autant, même des années après la tragédie ? Parce, avec le message d’un monde en crise, l’émotion transpire. La réalité éclate. Ce n’est pas de la fiction. Avec « Insoutenable », un court-métrage ultra-réaliste sur les conséquences d’un accident en pleine nuit, suite à une soirée bien arrosée, le scénario est bien rodé. Trop peut-être…. Des jeunes boivent, pour faire la fête. Rien d’original. Problème : ils boivent tous et beaucoup. Y compris les conducteurs qui reprennent le volant, inconscients du danger. On imagine que le trajet n’est pas long. A la campagne, la nuit, c’est toujours comme ça. Il n’y a que quelques kilomètres à faire. Et pas une âme à l’horizon. Soudain, c’est le choc, frontal. Avec une famille. Après la collision, les pompiers sortent un siège auto. Le bébé n’a rien. Mais le conducteur est en grande souffrance. Dans la voiture des jeunes, le chauffeur est mort. Il n’avait pas de ceinture. Son cadavre repose sur le bitume. Son portable sonne. Ses amis s’inquiètent. Les autres passagers sont blessés. Certains gravement. A quelques kilomètres de là, un gendarme, marqué, réveille une mère, le regard hagard. Son fils a perdu la vie. Il va falloir reconnaître le corps. Quel dur métier. Des histoires comme ça, il s’en produit chaque jour. Ou plutôt chaque nuit, le week-end. Plus de la moitié des décès surviennent les fins de semaine, en rase campagne. Au retour des discothèques.
A l’école, encore trop peu d’enseignants ont été sensibilisés à la formation en matière d’éducation routière, même s’ils jugent qu’elle y a toute sa place. Ce film n’est-il pas l’occasion de renouer le dialogue interdisciplinaire sur les effets de l’alcool (SVT), les dangers de la vitesse (physique, mathématiques) et le devoir de responsabilité (civisme, philosophie) ? Et pourtant, les faits sont là. Sagement installés devant l’écran, les jeunes à qui le film a été projeté réagissent sous le coup de l’émotion. Que feront-ils dans quelques jours, samedi soir, à la sortie d’une boite de nuit, après quelques verres ? Se souviendront-ils de ce film ? Décideront-ils de ne pas boire, en tant que « capitaines de soirée », pour assurer le retour des autres, en toute sécurité ?
Et cela n’arrive pas qu’aux adolescents dissidents. Car la bonne éducation n’empêche malheureusement pas les drames. Pour frimer devant les copains. Mais surtout, devant la copine qu’on vient de draguer. Entre 18 et 24 ans, la voiture est un instrument d’émancipation, d’expression identitaire, d’intégration sociale. C’est aussi l’âge de tous les risques, le trou d’air dans la conscience. J’ai fait cette expérience. Une fois. J’avoue, peu fier. Un soir, à Lyon, au retour d’une soirée bien alcoolisée. Mon pote était plus bourré que moi. Je l’ai ramené. A posteriori, j’ai encore les images saccadées de cet événement en mémoire : la montée sur Ecully, les yeux rivés sur la ligne blanche centrale. Je n’étais pas frais. Quelle imprudence !
Depuis, et pour d’autres raisons, j’ai peur en voiture. Un accident est si vite arrivé. Quelques secondes pour faire basculer une vie. C’est tout le propos de ce film. Quelques secondes. Puis, plus rien ne sera jamais comme avant. Alors, soyons prudents.