jeudi 18 mars 2010

Radio-activité



6h. Mon réveil radio s’allume. Sur France Info. Ça tombe bien : c’est là où je vais, à la maison de Radio France. Pour assister à une matinale, en direct. Démangé par l’envie de voir les coulisses, de prendre le pouls d’une équipe qui nous réveille tous les matins avec l’actualité et ses décryptages. Autrefois, dans l’esprit des auditeurs, friands d’un condensé sur les nouvelles du jour, de la bourse, des résultats des courses ou de la météo, France Info a longtemps été la radio de la rediffusion. Enregistrées au millimètre près, les chroniques tournent en boucle toute la journée. Il suffit de prendre un créneau, au hasard, dans sa salle de bain ou sa voiture, pour être briefé en un quart d’heure. Puis, on zappe ou on éteint. Aujourd’hui, la direction de l’antenne s’est inspirée des radios américaines, plus dynamiques. Depuis deux ans, France Info s’est orienté vers une ligne éditoriale plus conviviale, un traitement à vif d’une information incarnée, avec un souci du temps réel, de l’authentique, du spontané. Toutefois, réactivité ne veut pas dire légèreté. En coulisses, des journalistes s’affairent, emmagasinent, digèrent. Comme des chefs cuisiniers à Rungis, au petit matin, ils choisissent les beaux produits, frais. Imaginent leurs recettes. Car, dans quelques heures, on attend plus de 4 millions de couverts à servir. Il fait encore nuit. Je traverse le pont de Grenelle. Au pied de la tour en rénovation, des fenêtres sont allumées depuis plusieurs heures déjà.

7h. Au 8e étage, Benjamin Muller vient à ma rencontre. Il me présente l’open space. Encore dans le calme et la pénombre, les éclaireurs de l’information épluchent la presse, dépouillent les dépêches, échangent sur les sujets à traiter, rédigent leurs papiers, calent leur interview. Je crois que j’ai besoin d’un café ! Près du studio, un petit salon est aménagé. Pour recevoir les invités. Sur un chariot roulant, un thermos. C’est le totem de la tribu. On croise tous les visages, avec des voix familières. Nicolas Poincaré, David Abiker, Jean-Christophe Martin, Emmanuel Kessler,... Devant son écran, Raphaëlle Duchemin se prépare. Elle interroge Xavier Bertrand à 8h15. L’œil sur la pendule, Marc Fauvelle est dans le studio. A l’extérieur, près de la porte, une lumière rouge est allumée. Son micro est ouvert. Il présente le journal. Dans ma ligne de mire, je suis surpris par un léger décalage entre le mouvement de ses lèvres et sa voix à l’antenne, diffusée en sourdine sur une mini-chaîne, dans le salon. Une histoire de compression, paraît-il.

7h37. Nicolas Poincaré est en studio. Pour l’histoire du jour. Celle du Préfet Christian Prouteau, le créateur du GIGN dans les années 70. Il sort un livre : La petit demoiselle et autres affaires d’Etat aux éditions Michel Lafon, sur les secrets de la protection rapprochée de Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand. Le chroniqueur nous raconte, avec moult détails, les circonstances dans lesquelles ce colonel de gendarmerie n’a pu refuser sa mission de "garde du corps" lors de sa confrontation avec l’ancien chef d’état. En effet, c’est en évoquant des sujets plus personnels, comme Voltaire, Montaigne ou la mort, celle de ses coéquipiers et des preneurs d’otage, que l’ex-Président aurait gagné la confiance du militaire.

Pétillante, Marion Ruggieri s’installe dans un fauteuil. Ce matin, elle se mêle de tout, et en particulier des régimes. Amusant. Avec David Abiker et Jean-Christophe Martin, on parlait de feeding, une pratique masochiste d’origine anglo-saxonne qui consiste à gaver une personne de nourriture pour la faire grossir, jusqu’à atteindre des poids extrêmes. Ecœurant. Et puis, on revient sur l’événement cathodique de la veille. La diffusion sur France 2 du documentaire de Christophe Nick, Le jeu de la mort, une expérience scientifique et télévisuelle destinée à mesurer l’impact de la télévision sur la soumission des candidats à l’autorité, en l’occurrence celle de la présentatrice, Tania Young. Bien conditionnés, 81% des candidats ont été capables d’infliger plus de 460 volts à un partenaire lorsque ce dernier répondait faux à des questions. Heureusement, une mise en scène, interprétée par un comédien. Mais les participants y croyaient, eux. Alors, responsables mais pas coupables ? David Abiker était sur le plateau du débat – agité ! – qui a suivi le reportage, animé par un Christophe Hondelatte remonté (une altercation a même été coupée au montage). Il nous confie ses impressions. Certes le concept a fait couler beaucoup d’encre. Mais, d’après les résultats d’audimat, il n’a pas fait recette auprès des spectateurs : seulement 13,7% de part d’audience, loin derrière la série policière de TF1. Un coup de pub manqué ?

7h54. Marc Fauvelle bondit hors du studio. Le supporter du PSG, agressé en marge du match contre l’OM le 28 février dernier, est décédé hier, peu avant minuit. Autre scoop, Brice Hortefeux confirme la responsabilité de l’ETA dans la mort du policier à Dammarie-les-Lys. L’ouverture du journal de 8h par Raphaëlle Duchemin reprend ces dépêches. Dans le couloir, Xavier Bertrand fait son entrée. Un petit café et les nouvelles du Parisien. Puis, il prend place dans le studio. La régie diffuse une allocution de François Fillon sur le décès du gendarme, en Seine-et-Marne. Raphaëlle Duchemin tacle le secrétaire général de l’UMP : n’y a-t-il pas eu « récupération politique » de ce « drame terrible », à quelques jours du second tour des régionales ? Droit dans les yeux, Xavier Bertrand s’en défend. Le ton monte. Dans les couloirs, les visages se crispent. Face aux arguments d’un homme politique qui veut prouver la maîtrise totale de ses dossiers et de ses chiffres, le sourire lumineux de Raphaëlle Duchemin fait oublier, pour un temps, la joute verbale. L’interview reste un jeu, plus incisif que complaisant, où l’objectif est de pousser l’interviewé dans ses retranchements. Pour livrer du vrai, du vif. Quitte à froisser, avec tact. Il faut donner du relief à la matière, saler les aliments. Sinon, c’est fade, inconsistant. Et vite oublié.

8h25. Xavier Bertrand quitte le studio, enfile son manteau et s’éclipse. Il n’y aura pas de seconde mi-temps, hors antenne. Pendant ce temps, avec Philippe Chaffanjon, directeur de France Info, et Benjamin Muller, nous échangeons quelques mots avec l’invité des "Choix de France Info", Christian Prouteau, dont Nicolas Poincaré nous a parlé dans "l’histoire du jour", une heure plus tôt. Les écoutes, Carole Bouquet, la rencontre avec François Mitterrand. Tout y passe, avec humour et réserve. Nicolas peaufine son interview. Son oreille traîne…

8h37. Ils entrent en piste. Et les confidences tombent : « Le renseignement n’est pas moral mais il est indispensable » déclare, tout de go, Christian Prouteau. Ça donne envie de lire son bouquin. Après le rappel des titres, Nicolas Poincaré assure un duplex avec les studios de France Bleu Nord pour un entretien avec Marine Le Pen. Première question. Nicolas "s’inquiète" : la vice-présidente du FN est-elle toujours aussi remontée contre les instituts de sondage auxquels elle s’en est prise, lundi matin, sur la même antenne. Un tour de chauffe ? Seconde question « Frédéric Lefebvre dit "voter FN, c’est voter à gauche" ? ». La troisième question « dernière campagne de Jean-Marie Le Pen, comment le vit-il ? » augure la quatrième « prête pour la succession ? ». Nicolas prend le pari et passe la cinquième : « dans l’hypothèse d’une succession, quelles orientations ? Une alliance possible avec la droite ? ». Avant d’aborder la sécurité, thème de proue du FN. Fin de liaison avec Lille. La place est libre pour les duellistes de 8h53.

En effet, hors studio, je taquine Laurent Joffrin, directeur de Libé, sur son concept des pinocchios (trophées des menteurs) qu’il avait évoqué lundi dernier, dans son duel contre Sylvie Pierre-Brossolette, du Point, au lendemain des plateaux télé consacrés au 1er tour des régionales. Aujourd’hui, ils vont parler de l’union de la gauche dans la perspective de 2012. Côté pile, dans le petit salon, c’est la décontraction. Tandis que, côté face, au micro, les points de vue divergent, s’affrontent, se cognent parfois. Le duel reste un exercice de style.

Avant la suite des "Choix", Marc Fauvelle anime le journal de 9h, seul en studio. J’en profite pour me glisser en régie. Devant sa console multicolore, un technicien est aux manettes. Il se cale sur les gestes de l’animateur pour lancer l’habillage musical et les sujets d’accompagnement. Pas le droit de se distraire, de laisser filer son regard. Tel le président des Etats-Unis, il garde un doigt sur le bouton.

9h14. A mon grand bonheur, Nicolas et Benjamin me font entrer dans le studio pour assister, au cœur du réacteur, à la revue de toutes les presses. Waouh ! C’est un vrai frigo. Le son est étouffé. Devant la vitre qui nous sépare de la régie, une lumière rouge s’allume et s’éteint. Elle me rappelle quand je peux éternuer. Glacé par la climatisation (ou bien impressionné par la situation cocasse dans laquelle je me trouve ?), je ne bouge plus. Irradié par cette radio-activité. Je me surprends à épingler un sourire béat sur ma tête de midinette. J’ai l’impression d’être dans le cockpit de l’avion. Au poste de pilotage, Raphaëlle Duchemin, pour le rappel des titres de 9h15, David Abiker, Jean-Christophe Martin et Nicolas Poincaré qui prend connaissance des sujets. Je raffole de ces regards échangés entre les chroniqueurs, fidèles à cette gourmandise de l’actu qui les anime. Pour paraphraser Rouletabille dans une célèbre histoire de chambre jaune, tout ce que l’auditeur ne voit pas mais qui est immense.

9h20. Nicolas Poincaré annonce le programme : maisons closes, canular belge et interview d’un big boss de Lagardère à l’occasion de la sortie d’un nouvel hebdo. Jean-Christophe Martin froisse un journal. Cherche-t-il un article ? Ou bien joue-t-il les bruiteurs ? Il parle de maisons closes et de chaussées défoncées. Le rapport ? Les "nids de poule" bien sûr… David Abiker enchaîne sur le buzz du net avec une histoire belge. Puis, les trois journalistes interrogent, de concert et non sans humour, Didier Quillot, président du directoire de Lagardère Active, sur le lancement de Be, un « hebdo haut de gamme, curieux, drôle, chic et impertinent ». Un de plus ?

9h30. Nous sortons du studio, à pas feutrés, et tombons nez-à-nez avec Philippe Vandel. Quelques paroles échangées, des éclats de rire. Est-il vrai qu’on s’amuse à France Info ? L’ambiance est studieuse mais reste bon enfant. Ça donne envie. Après quelques minutes de débrief avec Nicolas Poincaré, je remercie l’équipe pour son accueil. Certains vont dormir un peu, d’autres préparent le lendemain. Et c’est tous les jours comme ça, au fil de l’actualité. Rien n’arrête l’information, ce grand réservoir d’imprévus qui laisse les journalistes en éveil.

Demain matin, je n’écouterai plus France Info comme avant.

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