Aimons-nous à ce point jouer aux rats de laboratoire ? Après Loft Story, Star Academy ou La Ferme Célébrités, la fièvre du huis clos gagne les journalistes. Cinq chroniqueurs radio vont se couper des sources traditionnelles d’information (médias, agence presse) en vivant reclus dans une ferme du Périgord, du 1er au 5 février, afin d’éprouver la pertinence des réseaux sociaux. En effet, ils devront rendre compte de l’actualité en consultant uniquement Facebook et Twitter. Vont-ils être suffisamment bien informés pour nous informer ? Comment l’information est-elle reçue, travaillée et restituée dans ces conditions ? Les participants à cette expérience inédite vont tenter d’approfondir ces questions.
Dans le gîte, ils troqueront leur smartphone contre un téléphone mobile sans internet et utiliseront un PC portable vierge de tout contenu. En outre, ils s’engagent, sur l’honneur, à ne pas suivre les liens vers des sites extérieurs. Leur lecture de l’actualité ne dépendra que des posts, photos et vidéos mis en ligne par les membres des réseaux. Seront-ils capables de décrypter l’actualité par le prisme du web 2.0 ? Chaque jour, ils prendront l’antenne pour nous livrer leur vision des événements. Et tiendront un blog. Quel sera l’écart avec la réalité ? C’est donc le procès des réseaux sociaux qui pourra commencer. Car jusqu’à présent, nous sommes en droit de nous demander s’ils ne sont pas des vides ou, à l’inverse, des cacophonies d’informations. N’aurions-nous pas succombé trop facilement à la tentation de l’instantanéité et de l’autopromotion ? Sommes-nous encore capables de partager du sens et de la valeur ajoutée entre amis ou, au contraire, parlons-nous sans écouter les autres ? Pire, pour ne rien dire ? J’avoue que, moi-même utilisateur, j’éprouve souvent ce scrupule. Grâce à l'iPhone ou au BlackBerry, du bureau ou de chez soi, il est possible de relayer, en temps réel, ce que vous faites ou ce que vous pensez au moment où vous vous connectez. Or, outre entretenir une forme d’exhibitionnisme (et donc de voyeurisme pour les lecteurs), le risque est de réagir à chaud, sans prendre le temps de la réflexion. Et de vous "griller" ! Car tout ce qui est publié laisse des traces et, comme le dit l’expression consacrée, pourrait être retenu contre vous.
Or, au-delà de cette opération, c’est aussi une introspection à laquelle vont se livrer ces journalistes. Quel est le sens de leur métier ? Ne sont-ils pas devenus accrocs à l’immédiateté et à l’impatience, prêts à tout sacrifier, y compris la vérité, pour un scoop avant tous les autres ? Frustrés d’être à l’écart, privés de moyens modernes de communication, quel sera le centre de leurs préoccupations ? Qu’importe l’enjeu ! Le huis clos reste toujours et avant tout une expérience personnelle, d’expression de soi en communauté, en situation d’enfermement. Pour mieux se connaître soi-même.
La littérature s’est souvent emparée de ce dispositif, à commencer par Agatha Christie avec Dix petits nègres. Dans ce chef d’œuvre de la littérature policière, dix personnages sont invités dans un château, sur une île, pour passer des vacances. A leur arrivée, leur hôte est absent. Pendant le dîner, un enregistrement sur un disque les accuse tour à tour d’un crime. L’un d’eux est assassiné. Puis un autre. La liste s’allonge, au gré des couplets d’une comptine. Inexorablement. La panique s’empare alors des invités puisque le coupable est forcément parmi eux. Ecrit en 1940, ce livre est sans doute le plus lu des romans policiers et a fait de nombreux émules, en littérature comme au cinéma. Tout l’intérêt est d’assister à l’évolution des comportements d’individus pris au piège. Par réflexe de survie, ils se crispent ou se confient, passant à des actes qu’ils n’auraient jamais commis, autrement. Dans ces conditions, après quelques jours d’adaptation, les vraies personnalités se révèlent, en fonction des événements et des autres. Après la glace brisée, les habitudes se confrontent et parfois s’opposent. D’où des tensions. Des clans se constituent. Jusqu’à l’esclandre.
Les navigateurs, qui partent en croisière, connaissent bien ce phénomène de vie en vase clos. Les passagers se portent et se supportent. On dit qu’il faut bien se connaître, apprécier ses qualités, avant de prendre le large. Pour plusieurs jours. Voire des semaines...
En 1943, Jean-Paul Sartre intellectualise le concept du huis clos dans sa pièce de théâtre éponyme. Trois personnages se retrouvent à leur mort dans une même pièce. De par leurs profils psychologiques bien tranchés, leur rencontre va conduire à une situation explosive et à la célèbre conclusion : « L’Enfer, c’est les autres ». Empreinte d’existentialisme, cette pièce, qui se voulait comique à l’origine, démontre que l’individu ne prend conscience de ses capacités et de sa nature qu’à travers le regard de l’autre. Or, le regard prend parti. Comment se connaître alors, en vérité ?
C’est aussi l’environnement qui influence les caractères. Dans le livre fantastique de Shirley Jackson, Maison Hantée, adapté au cinéma en 1963 par Robert Wise, un chercheur en parapsychologie tente une expérience scientifique avec un groupe de personnes réunies dans un vieux manoir réputé hanté. Dès leur arrivée dans la sombre demeure, héritière d’un lourd passé d’atrocités, des bruits étranges terrorisent les occupants. Phénomènes avérés de hantise ou fruit de leur imagination ? Tout le talent de l’écrivain ou du cinéaste est de ne jamais lever le doute, laissant au lecteur-spectateur le choix de ses propres conclusions. Confrontés à des événements qui les dépassent, les protagonistes se soupçonnent les uns les autres de provoquer ces troubles. C’est donc tout un schéma de confiance qui est bousculé. Au risque d’éveiller des sentiments d’animosité, voire de violence, chez les participants les plus sensibles. Même sans fantôme.
Sans parler de prison, l’homme supporte mal l’enfermement, l’isolement. Il perd ses propres référentiels. En huis clos, avec d’autres individus, il doit en créer de nouveaux, fruits d’un compromis. Il vit donc une frustration inhabituelle qui l’oblige à composer une seconde nature. Son "moi" communautaire. Or, le retour brutal à ses propres convictions déclenche parfois le conflit. Et met en péril l’équilibre du groupe. Pourquoi certaines personnes fonctionnent mieux ensemble que d’autres ? C’est tout le secret de la rencontre. Une alchimie qui défie toutes les lois scientifiques. Un mystère imprévisible et insondable. Comme l’esprit humain.
Au final, quel est le véritable enjeu d’un huis clos ?
Trouver ce qu’on y a apporté.
Dans le gîte, ils troqueront leur smartphone contre un téléphone mobile sans internet et utiliseront un PC portable vierge de tout contenu. En outre, ils s’engagent, sur l’honneur, à ne pas suivre les liens vers des sites extérieurs. Leur lecture de l’actualité ne dépendra que des posts, photos et vidéos mis en ligne par les membres des réseaux. Seront-ils capables de décrypter l’actualité par le prisme du web 2.0 ? Chaque jour, ils prendront l’antenne pour nous livrer leur vision des événements. Et tiendront un blog. Quel sera l’écart avec la réalité ? C’est donc le procès des réseaux sociaux qui pourra commencer. Car jusqu’à présent, nous sommes en droit de nous demander s’ils ne sont pas des vides ou, à l’inverse, des cacophonies d’informations. N’aurions-nous pas succombé trop facilement à la tentation de l’instantanéité et de l’autopromotion ? Sommes-nous encore capables de partager du sens et de la valeur ajoutée entre amis ou, au contraire, parlons-nous sans écouter les autres ? Pire, pour ne rien dire ? J’avoue que, moi-même utilisateur, j’éprouve souvent ce scrupule. Grâce à l'iPhone ou au BlackBerry, du bureau ou de chez soi, il est possible de relayer, en temps réel, ce que vous faites ou ce que vous pensez au moment où vous vous connectez. Or, outre entretenir une forme d’exhibitionnisme (et donc de voyeurisme pour les lecteurs), le risque est de réagir à chaud, sans prendre le temps de la réflexion. Et de vous "griller" ! Car tout ce qui est publié laisse des traces et, comme le dit l’expression consacrée, pourrait être retenu contre vous.
Or, au-delà de cette opération, c’est aussi une introspection à laquelle vont se livrer ces journalistes. Quel est le sens de leur métier ? Ne sont-ils pas devenus accrocs à l’immédiateté et à l’impatience, prêts à tout sacrifier, y compris la vérité, pour un scoop avant tous les autres ? Frustrés d’être à l’écart, privés de moyens modernes de communication, quel sera le centre de leurs préoccupations ? Qu’importe l’enjeu ! Le huis clos reste toujours et avant tout une expérience personnelle, d’expression de soi en communauté, en situation d’enfermement. Pour mieux se connaître soi-même.
La littérature s’est souvent emparée de ce dispositif, à commencer par Agatha Christie avec Dix petits nègres. Dans ce chef d’œuvre de la littérature policière, dix personnages sont invités dans un château, sur une île, pour passer des vacances. A leur arrivée, leur hôte est absent. Pendant le dîner, un enregistrement sur un disque les accuse tour à tour d’un crime. L’un d’eux est assassiné. Puis un autre. La liste s’allonge, au gré des couplets d’une comptine. Inexorablement. La panique s’empare alors des invités puisque le coupable est forcément parmi eux. Ecrit en 1940, ce livre est sans doute le plus lu des romans policiers et a fait de nombreux émules, en littérature comme au cinéma. Tout l’intérêt est d’assister à l’évolution des comportements d’individus pris au piège. Par réflexe de survie, ils se crispent ou se confient, passant à des actes qu’ils n’auraient jamais commis, autrement. Dans ces conditions, après quelques jours d’adaptation, les vraies personnalités se révèlent, en fonction des événements et des autres. Après la glace brisée, les habitudes se confrontent et parfois s’opposent. D’où des tensions. Des clans se constituent. Jusqu’à l’esclandre.
Les navigateurs, qui partent en croisière, connaissent bien ce phénomène de vie en vase clos. Les passagers se portent et se supportent. On dit qu’il faut bien se connaître, apprécier ses qualités, avant de prendre le large. Pour plusieurs jours. Voire des semaines...
En 1943, Jean-Paul Sartre intellectualise le concept du huis clos dans sa pièce de théâtre éponyme. Trois personnages se retrouvent à leur mort dans une même pièce. De par leurs profils psychologiques bien tranchés, leur rencontre va conduire à une situation explosive et à la célèbre conclusion : « L’Enfer, c’est les autres ». Empreinte d’existentialisme, cette pièce, qui se voulait comique à l’origine, démontre que l’individu ne prend conscience de ses capacités et de sa nature qu’à travers le regard de l’autre. Or, le regard prend parti. Comment se connaître alors, en vérité ?
C’est aussi l’environnement qui influence les caractères. Dans le livre fantastique de Shirley Jackson, Maison Hantée, adapté au cinéma en 1963 par Robert Wise, un chercheur en parapsychologie tente une expérience scientifique avec un groupe de personnes réunies dans un vieux manoir réputé hanté. Dès leur arrivée dans la sombre demeure, héritière d’un lourd passé d’atrocités, des bruits étranges terrorisent les occupants. Phénomènes avérés de hantise ou fruit de leur imagination ? Tout le talent de l’écrivain ou du cinéaste est de ne jamais lever le doute, laissant au lecteur-spectateur le choix de ses propres conclusions. Confrontés à des événements qui les dépassent, les protagonistes se soupçonnent les uns les autres de provoquer ces troubles. C’est donc tout un schéma de confiance qui est bousculé. Au risque d’éveiller des sentiments d’animosité, voire de violence, chez les participants les plus sensibles. Même sans fantôme.
Sans parler de prison, l’homme supporte mal l’enfermement, l’isolement. Il perd ses propres référentiels. En huis clos, avec d’autres individus, il doit en créer de nouveaux, fruits d’un compromis. Il vit donc une frustration inhabituelle qui l’oblige à composer une seconde nature. Son "moi" communautaire. Or, le retour brutal à ses propres convictions déclenche parfois le conflit. Et met en péril l’équilibre du groupe. Pourquoi certaines personnes fonctionnent mieux ensemble que d’autres ? C’est tout le secret de la rencontre. Une alchimie qui défie toutes les lois scientifiques. Un mystère imprévisible et insondable. Comme l’esprit humain.
Au final, quel est le véritable enjeu d’un huis clos ?
Trouver ce qu’on y a apporté.
Photo : Extrait du film "Les Oiseaux" d'Alfred Hitchcock