Sur les réseaux sociaux, les commentaires des fans sont unanimes. Un thriller implacable, lu d’une traite en échange d’une nuit blanche, une envie folle de visiter Washington, un polar efficace dans les arcanes de la Franc-maçonnerie, la meilleure des trois aventures de Robert Langdon,... Et c’est vrai. Le dernier roman de Dan Brown, Le Symbole perdu (JC Lattès), n’a pas failli à sa mission de passionner des milliers de lecteurs, avides de suspense, dans cette nouvelle chasse au trésor, à la recherche des secrets de l’humanité. Sans être totalement emporté, je n’ai pas boudé mon plaisir. Même si la recette qui a fait le succès du Da Vinci Code et de Anges et Démons n’est pas nouvelle.
Désormais une marque de fabrique, la formule alchimique de Dan Brown pour transformer une intrigue littéraire en succès planétaire fait le bonheur des éditeurs, marketing à l’appui : un secret immémorial, jalousement gardé par une confrérie hermétique, mais convoité par un traitre illuminé, provoque l’intervention malgré lui d’un déchiffreur d’énigmes et de symboles ancestraux, dans une course poursuite effrénée, au cœur d’une ville célèbre qui renferme bien des mystères, jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Après Paris et Rome, c’est au tour de Washington de figurer à l’itinéraire du Dan Brown Tour. Avec ce troisième opus, le professeur de symbologie Robert Langdon, popularisé au cinéma sous les traits de Tom Hanks dans les adaptations cinématographiques de Ron Howard, rejoint désormais le panthéon des célèbres aventuriers, aux côtés d’Indiana Jones et de Benjamin Gates.
Je ne ferai aucun commentaire sur le scénario. Ce n’est pas tant l’histoire que la structure qui prime dans ce roman. Comme sur un Rubik’s cube, il y a beaucoup de combinaisons possibles avec six couleurs différentes. Il suffit de changer la ville, la confrérie, le secret, le méchant, la clef de cryptage et la partenaire. Et on peut faire des milliers de pitchs tout aussi captivants les uns que les autres. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi tant d’éditeurs se sont engouffrés dans une vague de romans à suspense, inspirés du Da Vinci Code. Pourtant, souvent copié, jamais égalé. La force de l’auteur tient dans la construction de l’intrigue, nourrie d’un consciencieux travail de recherches préliminaires. En anglais, ce genre d’ouvrages a une expression très imagée : le "page-turner". Un peu comme un livre dont vous êtes le héros, le principe est simple : des chapitres courts, qui se concluent systématiquement par un mystère, multiplient des scènes d’action simultanées. Les révélations sont distillées au compte-goutte dans les chapitres d’après. Jouant sur la corde de la frustration et du rebondissement perpétuel, l’auteur nous tient en haleine. Les pages se tournent à un rythme soutenu, d’énigmes en révélations, jusqu’au dénouement qui promet de surpasser tous les autres secrets. Je me suis laissé prendre au jeu.
Fort de ce talent de conteur qui ménage son suspense, Dan Brown use également d’un autre procédé redoutable : le mélange de la fiction et de la réalité. Très documenté, il ancre son histoire dans des décors réels et des institutions existantes, au point que les repères s’estompent. Invariablement, c’est la vraisemblance qui domine. Parfois aux limites de la subversion. D’abord, parce que le lecteur, privé de tout esprit critique, concède volontiers à cette "version des faits". Souvenez-vous du tollé qu’avait déclenché la théorie du Da Vinci Code auprès des catholiques, suggérant aux âmes sensibles que Jésus de Nazareth aurait pu être marié à Marie-Madeleine. Les sondages de l’époque ont révélé que de nombreux chrétiens, peu pratiquants, avaient accordé crédit à cette thèse en avançant des "pourquoi pas ?". Du coup, dans de nombreux diocèses, les prêtres ont profité de la confusion pour rappeler les fondamentaux de la foi catholique. En outre, combien de touristes se sont massés au pied de la pyramide inversée du Louvre croyant se rendre sur une tombe ? Ou à l’Eglise Saint-Sulpice, le nez au sol, à la recherche de la "Rose Ligne", suscitant l’irritation du curé ? Mais, l’autre risque de pousser le lecteur à croire des faits inventés est de le décevoir. En effet, à force de faire miroiter une révélation absolue, au terme d’une quête mystique dont l’enjeu est énorme, comme si les interrogations existentielles de l’humanité allaient enfin trouver des réponses, l’attente est immense. Et la solution rarement à la hauteur. Dans ce cas, le retour à la fiction est plus dur qu’un retour à la réalité. Tout ça pour ça, me suis-je dit.
Que reste-t-il du dernier Dan Brown ? Peut-être un sentiment d’écœurement, tant les références ésotériques abondent. Comme si, chez Dan Brown, toutes les plus grandes énigmes de l’histoire, sociétés secrètes, religions ou phénomènes paranormaux, étaient reliées à un mythe primitif, plus grand que Dieu. L’intrigue policière est ainsi sans cesse interrompue par les explications de Robert Langdon, aux allures de cours magistraux, sur les symboles, les rites ou les traditions anciennes. Souvent à la limite du poussif. Pire, de la répétition. Qui trop embrasse mal étreint, comme dit l’expression. A l’instar du symbole alchimique de l’ouroboros (un serpent qui se mord la queue), Dan Brown nous fait tourner en rond, abusant du même syncrétisme et des mêmes clefs de décryptage que sur ses précédents best-sellers. Un air de déjà-vu...
Finalement, un roman de Dan Brown est comme un château fort. D’une incroyable ingéniosité architecturale, il fait vivre le seigneur du domaine, sa cour et tous les paysans qui cultivent les champs alentours. Convoité par l’ennemi, il est très bien gardé. A l’intérieur, les installations sont rudimentaires. C’est une place forte qui marque un territoire. Un seul objectif : y entrer. Une fois pris, la pression retombe. Délaissé, il tombe en ruine. Mais, des siècles après, les historiens en parlent encore. Conservé, il se visite, comme le témoin d’une époque, un enjeu de pouvoir. Son exploration alimente les fantasmes. On cherche la porte dérobée, le couloir secret qui mène au trésor.
Mais faut-il ouvrir le coffre ?
Pas nécessairement.
Illustration : Dans Le Symbole perdu (chapitre 79), Dan Brown fait référence à une curiosité de Washington. Lors d'un concours organisé dans les années 80 par le National Geographic pour dessiner les sculptures de la Cathédrale Saint Pierre et Saint Paul, des enfants ont sélectionné Darth Vader pour incarner le mal en gargouille. Sacré Dan Brown ! Je n'y croyais pas.