mercredi 13 janvier 2010

Insubmersible James Cameron



Epoustouflant, féérique, révolutionnaire ! Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le nouveau blockbuster de James Cameron, Avatar, qui pulvérise tous les records du monde. Mais, au-delà de chiffres parfaitement justifiés, c’est un véritable cap qui a été franchi dans l’industrie du cinéma.
Vingt trois ans après Captain Eo de Francis Ford Coppola, un film futuriste en 3D projeté dans les parcs d’attraction Disney, produit par George Lucas, avec en vedette Michael Jackson, le réalisateur de Terminator, Aliens le retour, Abyss et Titanic provoque une onde de choc technologique sans précédent dans la manière de faire des films. La 3D est maintenant parfaitement aboutie. Et le résultat saisissant.
Je n’avais pas éprouvé une telle émotion depuis Jurassic Park, lors de sa sortie en 1993. Rivé à mon fauteuil du Gaumont Grand Ecran à Paris (aujourd’hui fermé), j’avais été bluffé par les dinosaures de Steven Spielberg en images de synthèse. Depuis, George Lucas a perfectionné le numérique pour les besoins de sa nouvelle trilogie Star Wars lancée en 1999. A nouveau au rendez-vous, le public s'était rendu compte qu’une équipe de visionnaires faisaient avancer l’histoire du 7e art. Aujourd’hui, un tournant vient d’avoir lieu. Après Avatar, il ne sera plus possible de voir le cinéma comme avant, en particulier les films à grand spectacle. Dès les premières minutes, notre vision s’accommode d’une nouvelle dimension, la profondeur de champ. Equipés de lunettes polarisantes Dolby 3D, nous entrons littéralement dans l’image. Les premiers plans viennent jusqu'à nous, à portée de main. Aucun défaut. Une parfaite maîtrise qui nous fait oublier les ficelles et les balbutiements de la 3D. Souvenez-vous de L’Etrange Créature du Lac Noir, un film américain de 1954 que les spectateurs français ont découvert le 19 octobre 1982, dans La Dernière Séance, présentée par Eddy Mitchell. Pour profiter du relief, il fallait se procurer des lunettes équipées de filtres bleu et rouge dans un magazine de télévision. Prouesse technologique, l’opération avait néanmoins déçu et ne fut jamais renouvelée. Récemment, d’autres films ont tenté de populariser la 3D, en particulier des films d’animation comme Coraline ou Là-haut. Mais les spectateurs n’ont pas plébiscité ces films pour cette raison. Avec Avatar, tout change. L’effet est sidérant. Et le film est parfaitement approprié à ce procédé. Chaque cadrage est conçu pour être plus efficace en relief. Sur terre, dans l'air et sous l'eau, les décors multiplient les perspectives et donnent le vertige. Toutes les émotions sont amplifiées. C’est un pur moment de bonheur qui donne envie de dénigrer DVD et home cinéma pour revenir en salle. C’est aussi un outil fabuleux pour ridiculiser les pirates. Car il n’y a aucun intérêt à voir Avatar chez soi.
Pourtant, la technologie ne fait pas tout. Certes elle permet de rester "avatarisé" dans le film pendant 2h40. Mais, pour que la magie opère, elle devait aussi être associée au génie de James Cameron, l’un des rares metteurs en scène capables de donner corps et âme à cette fable écologique. Car Avatar est bien un conte de fées, une mythologie avec son bestiaire fantastique et ses enjeux moralistes. Jake Sully, un ex-marine paralysé des deux jambes, est envoyé en mission, à la place de son frère jumeau décédé, sur Pandora, à des années-lumière de la Terre, où des industriels exploitent un minerai très rare. L’atmosphère étant toxique pour l’homme, un programme scientifique permet de relier leur cerveau à celui de leur avatar, un être hybride, créé à partir de l’ADN humain et de celui des Na’vi, les créatures de Pandora. Dans la peau de son avatar, Jake doit s’infiltrer parmi les indigènes pour gagner leur confiance et les forcer à quitter leur arbre-maison, planté au-dessus d’un énorme gisement, avant l'arrivée des bulldozers. La mission se déroule comme prévu jusqu’à ce qu’il croise Neytiri, une très belle Na’vi…
Dans Avatar, il n’est pas étonnant de retrouver les partis-pris créatifs du réalisateur, aux implications philosophiques.
1. Une fois encore, l’homme est rappelé à l’ordre par des extra-terrestres pour lui faire prendre conscience de la fragilité de la nature. Et de sa propre espèce. Dans Abyss, ce sont des créatures sous-marines qui hantent les abysses et menacent l’humanité d’extinction si elle ne change pas d’attitude envers l’environnement. Dans Avatar, les Na’vi incarnent la conscience des hommes dans la sauvegarde des ressources naturelles. La nature luxuriante et phosphorescente de Pandora est divinisée par des autochtones qui croient en l’existence d’une âme nourricière. Et les Na’vi n’y prélèvent que le strict nécessaire pour survivre. D’après eux, faune et flore sont reliées entre elles par un vaste réseau de communication, à l’image des synapses de notre cerveau, avec lequel il est possible d’entrer en contact. Les Na’vi utilisent les ramifications de leur natte pour se "brancher" sur les arbres ou les animaux. Il faut donc être dans la peau d’un Na’vi pour envisager différemment l’écosystème. C’est ce qui arrive au héros. Et, à travers lui, au spectateur.
2. Poussé à l’extrême, l’orgueil humain conduit à l’absurdité et la destruction. Dans Terminator, le manque d’éthique scientifique condamne l’homme à devenir esclave de machines qu’il a lui-même inventées. Avec Aliens le retour ou Abyss, c’est la soif de connaissance et l’exploration à outrance de l’inconnu qui finissent par répandre la mort. Quant à Titanic, le réalisateur a été touché, dans l’histoire de ce naufrage, par la trop grande confiance de l’homme en ses capacités et l’aveuglement du prestige, poussant un navire, présumé insubmersible, à prendre le large en dépit des dangers. Pour Avatar, l’arrogance prend les traits du Colonel Quaritch qui privilégie l'action militaire à l'issue diplomatique. Dans une scène poignante, on pense aux stigmates du 11 septembre et de la menace terroriste : la chute des tours et Ground Zero. Le recours à la force est toujours motivé par de mauvaises intentions.
3. Enfin, la lumière et le salut viennent systématiquement de personnages féminins forts : Sarah Connor (Terminator), Ellen Ripley (Aliens le retour), Lindsey Brigman (Abyss) ou Rose Dewitt Butaker (Titanic). Dotées de capacités physiques et morales hors du commun, les héroïnes de Cameron apaisent l’homme macho dans sa conquête de pouvoir le poussant, par la force du caractère, à la raison et à l’amour. Dans Avatar, Jake Sully (Sam Worthington) est entouré de trois muses, Grace Augustine (Sigourney Weaver), Trudy Chacone (Michelle Rodriguez) et Neytiri (Zoe Saldana) qui, chacune à leur façon, vont lui ouvrir les yeux.
A l’instar de J.R.R. Tolkien et sa Terre du Milieu, James Cameron a inventé un nouveau monde. Un univers qui lui trotte dans la tête depuis 1995. Mais à l’époque, la technique n’était pas à la hauteur de ses idées. Jusqu’à l’arrivée du Gollum dans Le Seigneur des anneaux : les deux tours. Sur un carnet de notes, il en a élaboré les principes : langue, créatures, décors et culture. Et a confié le tout à la crème des techniciens pour un résultat à couper le souffle. La planète Pandora, du nom de la déesse de la fécondité qui garde tous les maux de l’humanité, fait désormais partie de notre imagination. Elle a définitivement changé notre conception du cinéma et du rêve. Or, le réveil semble être pénible pour certains. En effet, la rumeur parle déjà d'un blues post-Avatar. Allons, allons… Voyons l’avenir avec de meilleurs yeux ! Ce n’est que du cinéma. Mais quel cinéma !