mardi 14 septembre 2010

Tourbé or not tourbé ?

Avec ou sans glace ? La question fait sourire les amateurs. Car, pour eux, la différence entre un bon et un mauvais whisky dépend de la façon de le boire. Assemblage de whiskies de malt et de whiskies de grain, on servira un blend à l'apéritif, sec ou allongé d'eau. Même le puriste ne le refusera pas en long drink, comme le Ballantine's 12 ans d'âge qui s'accommode très bien de sirop de gingembre, Ginger ale, feuilles de basilic et glace pilée. Le "mojito du Whisky" ! En digestif, les malts, whiskies élaborés uniquement avec de l'orge fermentée, en single (un seul malt pour une seule distillerie) ou en pure (plusieurs malts provenant de plusieurs distilleries), conviendront mieux à la discussion ou à la lecture, au coin du feu. Vous l'aurez compris : talonnant le cognac et la vodka dans le cœur des bons vivants, le whisky multiplie les variétés et les stratégies de communication pour échapper à la sphère élitiste des fumeurs de cigare.
Depuis les années 60, l'essor de la grande distribution et la multiplication de marques fortes en France tendent à démocratiser cette eau-de-vie pour cow-boys et séries noires. Mais le risque n'est-il pas de créer un marché à deux vitesses : celui des malts, plus typés et plus chers, réservés aux connaisseurs et celui des blends, plus équilibrés et plus accessibles, mais relayés au second plan ? En outre, le whisky reste encore une "boisson d'homme", signe de reconnaissance sociale, en proie à un autre dilemme : écossais ou irlandais ?
Pour Patrick Mahé, auteur de La magie du whisky, aux éditions du Chêne, le whisky irlandais régale autant que les écossais. C'est l'Irish Coffee, souvent fait de mauvais whisky (de ceux servis en boîte de nuit) et de mauvais café, qui a plombé sa réputation. Depuis, il exige - à juste titre ! - sa réhabilitation. Quant au scotch, il profite d'une image de carte postale : le château lové au cœur d'un glen, noyé dans la brume et hanté par des siècles d'histoire, où les moutons paissent une herbe bien verte et les joueurs de cornemuse portent le kilt.
Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi l'Ecosse pour voyage de noces. Je voulais partager avec mon épouse un pan de ma personnalité, celui qui se nourrit de légendes, d'histoires de fantômes, de vieilles pierres, d'embruns et... de whisky. Elle aime la Bretagne. La destination n'était donc pas incompatible avec son humeur. Je me souviens des distilleries, étapes obligées de notre road-tour. En particulier, celle de Talisker, sur l'île de Skye, où la visite commence par la dégustation. Il était 9h du matin ! Un whisky iodé et tourbé, comme tous les "Islay" produits sur un chapelet d'îles, à l'ouest de l'Ecosse. Cet arôme si particulier de tourbe provient de la phase de séchage, après que l'orge humidifié ait fermenté sur de vastes planchers perforés. La chaleur dégagée par la tourbe brûlée dans une chaudière vient sécher le malt par en-dessous et lui confère cette odeur si caractéristique, avant la distillation et la mise en fûts. L'Ecosse compte près d'une centaine de distilleries en activité, réparties sur quatre régions : les Lowlands au sud, les Highlands au nord, les Hébrides à l'ouest (notamment l'île d'Islay), et la région voisine de Campbeltown. Pourtant, acheter un whisky à la boutique d'une distillerie n'est pas toujours bon marché. Mieux vaut écouter les  conseils de vos hôtes : on trouve de bonnes affaires... au supermarché du coin !
Le whisky ne souffre-t-il pas d'une image vieillissante, à l'instar de ses buveurs ?  Afin de conquérir de nouveaux aficionados, ne faudrait-il pas la moderniser, en l'inscrivant dans de nouveaux codes de consommation ? Mieux, de dégustation ? C'est la question que s'est posée la marque Ballantine's qui, avec Chivas ou Aberlour, appartient au groupe Pernod Ricard. Associée au jeune designer britannique Kacper Hamilton, la marque a lancé une série limitée de verres à dégustation, réfrigérés par une base métal,  pour offrir une  nouvelle expérience gustative. Invité au cocktail de lancement, j'ai pu mesurer tout l'intérêt de ce concept : la forme du verre préserve au nez la subtilité des arômes de bois et de vanille, par-dessus l'agressivité de l'alcool. Le maître-mot confié au jeune créateur en chaussettes rouges : équilibre. D'où son luxueux coffret de 3 verres et d'une carafe qui se superposent, en forme d'alambic, autour de l'axe vertical d'un plateau, symbolisant les quatre sens. Un luxe qui tranche quelque peu avec la volonté de démocratiser le whisky. Mais il faut bien redoubler d'imagination pour ne pas être assimilé au tout-venant. Règle n°1 : ne pas confondre démocratisation et banalisation...
Cher ou bon marché, irlandais ou écossais, malt ou blend, single ou pure, avec ou sans glace,  peu importe le flacon. Pourvu qu'il y ait l'ivresse... de convivialité ! Le whisky doit avant tout être le compagnon fidèle d'instants de bonheur entre amis. Pour ne pas devenir, comme disait Pierre Desproges, le "cognac du con".